Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Je lui ai expliqué qu’il s’agit de fiction, qu’elle n’a rien à voir avec cette collectionneuse d’hommes qui répond au nom de Martina, qui porte des escarpins noirs picotés blancs et qui adore la crème glacée à la pistache.
-Dahhh! C’est parce que mon prénom finit aussi par un a, que mes chaussures sont noires avec des pois rouges et que mon dessert préféré est le même que ton ensorceleuse.
Bon, c’est vrai qu’il y a une certaine ressemblance. J’aurais pu, par exemple, choisir de lui inventer des cheveux bruns, plutôt que le beau blond doré de ma Best. Et ne pas lui attribuer le même métier de journaliste d’enquête.
-T’aurais au moins pu la mettre célibataire!
Là, elle marque un autre point. Mais bon, ce qui est fait est fait. On ne peut tout de même pas retirer du marché les milliers de copies de mon roman qui sont sur les étagères des librairies.
Nachos et jeux vidéo
N’empêche que ma copine me fait douter de moi. Elle l’ignore, mais son chum, je le déteste. C’est un être insignifiant qui passe son temps à attendre qu’elle lui serve des nachos pendant qu’il joue à des jeux vidéo. Elle mérite mieux que ça. Est-ce que, inconsciemment, je souhaiterais qu’elle le trompe? Et surtout, qu’elle le quitte? Possible… très possible même.
-Et si mon roman était prémonitoire?
Silence au bout du fil. Peut-être ai-je touché une corde sensible qui la fera réfléchir? J’attends, remplie d’espoir. Mais sa réponse n’est pas celle que je souhaitais.
-J’en ai vraiment assez. Ça fait deux fois que tu me mets dans le trouble!
Elle fait ici référence à un autre extrait de mon bouquin, dans lequel son personnage a comploté pour monter une histoire de toutes pièces. Je trouvais ça hyper cool de transformer une sérieuse journaliste d’enquête en une fille sans éthique qui ne rêve que de vedettariat. J’ai donc écrit qu’elle publiait un article exclusif sur un faux scandale dans le milieu des bars de danseurs nus. Et ce, dans le simple but de faire parler d’elle dans tous les médias.
Ce que j’ignorais, à l’époque, c’est que mon amie travaillait d’arrache-pied sur un reportage traitant de fraude fiscale dans les bars de… danseuses nues. Elle en était à l’étape de l’infiltration et s’était fait engager comme femme de ménage dans un de ces établissements. Une de ses collègues, qui ne rate jamais l’occasion de la rabaisser parce qu’elle est jalouse de son succès, a utilisé mon livre comme une arme.
Elle a clamé haut et fort qu’il était impossible qu’une romancière angoissée ait imaginé pareil épisode sans s’inspirer de ses proches. Et que de facto, l’investigation de ma Best était sans fondement. Tordue la fille…Le pire, c’est que leur patron s’est questionné sur le travail de mon amie, l’obligeant à défendre férocement son reportage.
Elle a finalement gagné, mais elle m’en veut encore de l’avoir placée dans une situation intenable. Moi, je dis que c’est la faute de sa collègue dérangée. Non la mienne.
Amitié sur pause
Ma Best en ajoute. Non seulement elle exige que je fasse mourir mon personnage qui lui ressemble, mais elle m’annonce qu’elle met notre amitié sur pause pour un moment. Je suis trop dangereuse, me dit-elle avant de raccrocher sans plus de façon.
Triste et désemparée, je songe, une fois de plus, que ce métier ne cesse de m’isoler des autres. Je cherche un peu de réconfort autour de moi et je vois Geek, mon nouveau chat acheté la semaine dernière, qui dort paisiblement à mes pieds. Je le colle très fort contre moi et même s’il n’apprécie pas beaucoup, il n’essaie pas de fuir. Lui, au moins, je peux l’utiliser à ma guise. Que j’en fasse un minou prédateur, infidèle, vantard et même tueur en série d’hirondelles, il ne me reniera jamais!
-À cause de toi, mon chum pense que je le trompe!
Oups…Ma Best est vraiment furieuse. À un point tel qu’elle hurle au téléphone. C’est qu’elle croit être un des personnages de mon nouveau roman. Une séductrice née, prête aux pires bassesses pour attirer l’attention des hommes.
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD