Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Dans la vie d’un auteur, c’est un moment important… et délicat. Lors de mon dernier livre, j’ai eu un argument solide avec lui à ce sujet. Je n’étais pas du tout d’accord avec cette illustration poche d’une fille qui roulait à vélo en jupe. Tout d’abord, mon héroïne se véhicule en métro et non à bicyclette. Ensuite, elle ne porte jamais de jupe. Cherchez l’erreur…
En fait, mon éditeur souhaitait que j’adapte mon texte à cette image qu’il trouvait «remplie de sous-entendus». Euh…non! Pas question de changer mon histoire pour faire plaisir à monsieur. Et une fille à vélo, c’est une fille à vélo! Je ne vois pas ce qu’une telle scène peut suggérer dans l’esprit des lecteurs.
-C’est parce que tu es trop terre à terre. Tu manques d’imagination, m’a-t-il dit.
Piquée au vif, j’ai fait une crise épique dans son bureau, alertant tout l’étage. Terrorisé, il a accepté de remplacer le dessin par un autre, montrant cette fois-ci une fille marchant sur la rue, son cellulaire collé à l’oreille. Ce qui est beaucoup plus représentatif de mon personnage.
Aujourd’hui, j’espère ne pas avoir à monter sur mes grands chevaux pour lui faire comprendre le bon sens.
Je me rends à son bureau illico, puisque mon éditeur insiste toujours pour me dévoiler ma couverture en personne. Je suppose qu’il craint que je la publie sur Facebook s’il me l’envoie par courriel. Pff…comme si c’était mon genre! Plus discrète que moi, tu meurs.
Une auteure impatiente
J’arrive au pas de course et je prends place devant lui sans même attendre qu’il m’invite à le faire.
-Piiiiiiiiis?
Mon impatience ne lui plaît pas. Il me prie de me calmer, avant de se lancer dans un long monologue. Il me parle des défis que la graphiste et lui ont rencontrés pour créer ma couverture, de l’importance qu’elle soit originale sans être trop déroutante pour le lecteur (celui-ci doit savoir que c’est un roman d’amour au premier coup d’œil), de l’utilisation judicieuse des couleurs…. Blablabla.
Qu’il me la montre, qu’on en finisse! À chaque fois, c’est comme ça; il s’oblige à faire toute une cérémonie pour me montrer une simple feuille de papier.
Je pianote bruyamment sur le pupitre, espérant attirer son attention, mais il s’en fiche royalement et poursuit son exposé. Il ajoute que nous avons huit secondes pour séduire le lecteur, puisque c’est le temps qu’il passe en moyenne à regarder un livre en librairie.
Finalement, c’est le moment tant attendu. D’un geste solennel, il dépose le document convoité devant moi. Wow! Vraiment superbe. Une fille aux longs cheveux blonds et au sourire engageant est assise sur un banc de parc. Excellent! Il a compris l’importance de la chevelure de mon personnage dans l’histoire. Tout un chapitre y est consacré.
Elle tient une laisse au bout de laquelle se trouve…un kangourou? Hein? Pas encore son obsession pour cet animal! À voir son regard tout fier, je sais qu’il ne sera pas facile de le faire changer d’idée.
À l’attaque!
Je commence par le féliciter puis j’attaque. Que fait un kangourou sur la couverture, alors qu’il n’y en a pas dans l’histoire?
-Encore une fois, t’es incapable de voir le double sens. Ton héroïne a une aventure avec un Australien, non?
Oh my god! C’est ça son lien? Trop nul! Je vais devoir péter ma coche une fois de plus. Ce que je m’empresse de faire. Heureusement, ça fonctionne : il me promet de l’enlever, à la condition que j’accepte un autre petit changement de rien du tout. Je cède, me disant que ça ne peut pas être pire que ce mammifère sans rapport.
Quelques jours plus tard, me revoici avec mon éditeur pour la version no 2. En me la montrant, il m’annonce avoir trouvé un bon compromis. Mon héroïne ne porte plus sa blouse rose, mais bien un kangourou gris, dont le capuchon lui couvre entièrement ses beaux cheveux blonds...Ah non!
-Pas pire, hein? J’ai quand même mon kangourou!
Oui, et moi je m’en veux à mort de ne pas avoir laissé l’animal sur ma couverture!
«J’ai quelque chose de beau à te montrer!»
Je sautille de joie en lisant le courriel de mon éditeur. La couverture de mon roman est finalement prête! J’ai trop hâte de la voir.
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD