Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Tiens, en voilà une! Quand je voyage en métro, j’ai mon rituel. Je pars à la chasse à la lectrice. Et je ne fais pas ça à la légère. À chacun des arrêts, je transfère de wagon dans l’espoir secret de voir une passagère, mon livre entre ses mains.

 

La plupart du temps, je parcours les dix ou douze stations qui m’amènent à destination, sans  jamais en trouver une. Mais cette fois-ci, la chance est de mon côté.

Assise à ma gauche, une jeune femme a les yeux rivés sur mon dernier roman. Sa valise à roulettes et son chic tailleur marine décoré du petit logo d’une compagnie aérienne, me font croire qu’elle est agente de bord. Youpi!

Si cette fille apporte mon bouquin partout à travers le monde, quelle belle publicité gratuite ça me fait! Ce qui serait encore plus chouette, c’est qu’elle en fasse la promotion auprès des voyageuses à qui elle sert un gin tonic à 10,000 mètres d’altitude…Ça, ce serait vraiment payant pour la romancière que je suis.

Le bouche-à-oreille est la meilleure façon de faire mousser ses ventes. Je dois trouver un moyen de lui suggérer de devenir ma porte-parole, sans par ailleurs la brusquer. Observons tout d’abord ses réactions à l’heure actuelle, afin de savoir si elle aime mon histoire.

Hum… il ne se passe pas grand-chose, côté expression faciale. Son visage affiche une neutralité qui m’exaspère. Ni sourire, ni tristesse, ni surprise. Aucune indication valable ici.

Ce que je sens, par contre, ce sont les regards des autres usagers du transport en commun. Ils me dévisagent comme si je chantais faux une vieille toune française, une casquette à la main pour ramasser des sous.

 

Étude de marché

Ils ne comprennent pas que je me livre à une importante étude de marché. Peut-être pas scientifique, ni dotée d’une rigoureuse méthodologie, mais tout de même révélatrice.

Bon, c’est vrai que je ne fais pas dans la discrétion, scrutant ma lectrice sous tous ses angles. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’elle ne se rend compte de rien. Elle est totalement absorbée par ce que vivent mes personnages.

Je rêve déjà de la voir distribuer mes signets à chaque passagère du prochain vol Paris-Montréal, ajoutant qu’il s’agit du meilleur livre de chick-lit au monde.

Une fois en sol québécois, les Françaises se précipiteraient à la librairie pour se procurer le premier tome de ma série. Elles feraient ensuite circuler une pétition pour obliger un éditeur de l’Hexagone à publier mes œuvres  dans toute la Francophonie. Et je deviendrais finalement riche et célèbre.

Impossible de laisser passer cette opportunité. Si je ne fais rien, je vais me demander jusqu’à la fin de mes jours ce qu’aurait été ma carrière si seulement j’avais osé aborder cette femme. Elle tient peut-être mon destin entre ses mains.

 

Une offre exceptionnelle

La voilà qui tourne une page. Elle semble en être à la fin de mon récit. L’occasion se présentera d’ici quelques secondes. J’attends patiemment qu’elle referme mon livre pour l’aborder tout doucement.

Après m’être présentée et l’avoir chaleureusement remerciée, je lui expose mon scénario. Comme elle ne semble pas allumer du tout, je lui propose de lui octroyer un pourcentage de mes ventes à l’étranger si mon rêve se concrétise.

Je ne comprends pas son manque flagrant d’enthousiasme. Après tout, je lui offre peut-être de faire fortune sur un plateau d’argent! Quelle ingrate!

Je m’apprête à récidiver avec d’autres solides arguments, quand le métro s’arrête à la station Place-des-Arts. Elle se lève. Non, non, non. Elle ne peut pas me quitter alors que je suis en plein pitch de vente.

-Je peux vous accompagner?

Ma future gérante outre-mer me toise avec dédain. Pas facile la madame.

-Écoute chérie, c’est bien beau tes élucubrations mais moi j’ai une pièce de théâtre qui m’attend.

-Ah bon? Vous allez voir quoi?

-Je vais rien voir. Je joue le rôle d’une hôtesse de l’air.

Stupéfaite, je bredouille quelques excuses, pendant qu’elle sort du wagon. Juste avant que les portes vitrées se referment, elle se retourne.

-De toute façon, j’aurais jamais fait la promo de ton livre. La fin est plate à mort!

Sur ces paroles assassines, la comédienne disparaît et moi, je veux mourir de honte.

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD

La chasse à la lectrice!