Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Depuis que j’ai quitté mon emploi de salariée pour écrire des livres, ils me compliquent la vie. Comme si en devenant travailleuse autonome, je me transformais soudainement en une formidable gestionnaire de revenus. Dahhhh! C’est parce que je n’ai jamais excellé dans les chiffres, moi. Je suis une artiste, pas une trésorière!
En fait, si j’ai réussi mes cours de maths au secondaire, c’est grâce au nerd de la classe, qui me laissait copier sur lui. Bien sûr, ce n’était pas gratuit; il me fallait ensuite le frencher entre deux rangées de casier pendant la récréation. Un dur moment à passer puisqu’il était laid comme un pichou.
Julien a longtemps espéré qu’on sorte ensemble, mais une fois la période d’examen terminée, ça été : «Bye Bye mon homme et que je ne croise plus jamais ton chemin».
Épargner? Euh….
Donc, en plus de n’avoir aucun salaire fixe, je dois maintenant mettre moi-même de l’argent de côté pour mes vieux jours. Ce qui, avouons-le est plus facile à dire qu’à faire. Surtout quand on vit de longs mois à attendre ses redevances et à utiliser sa carte de crédit pour faire son épicerie.
Parce que nous, les auteurs, sommes généralement payés une fois par année. Oui, oui… UNE fois! Souvent, nous recevons notre argent douze mois après la publication de notre œuvre.
D’accord, quand le chèque arrive, la somme peut-être substantielle, mais qu’est-ce qu’une romancière angoissée fait avec une somme substantielle? Non, non, pas du shopping. Mais bien une thérapie par l’achat, ce qui est très différent et absolument nécessaire pour l’équilibre mental.
Aussi, tous les trois mois, je dois produire un rapport de taxes extrêmement compliqué, qui m’oblige à garder toutes mes factures dans des boîtes de chaussures et à faire des calculs de pourcentage qui m’exaspèrent.
Comble de tout, ces heures passées à me casser la tête pour savoir si je peux récupérer 50% du trois dollars de TPS payés au restaurant lors d’un lunch avec mon éditeur, m’empêchent de penser aux intrigues de mon roman.
Et là, avec cette histoire d’acompte provisionnels qui s’ajoute, je ne m’y retrouve décidément plus. J’ai besoin d’aide.
Julien-le-Nerd
Mais j’y pense, Julien-le-nerd doit travailler dans le milieu des finances aujourd’hui. Il serait peut-être heureux de me rendre à nouveau service. Une recherche sur Google m’amène instantanément sur le site d’un grand cabinet de comptables, dont il est l’associé principal. Wow! Contente d’apprendre qu’il a réussi malgré sa peau grasse, son regard qui louche et sa démarche de canard.
Je tombe sur une photo de lui et… non, je n’y crois pas. Il est photoshoppé, c’est certain! Il ne ressemble en rien à l’adolescent hideux que j’ai connu. On ne peut pas changer autant, c’est impossible. Il est trop beau pour être vrai! Si je ne savais pas qu’il s’agit de mon ancien camarade de classe, je lui ferais de l’œil.
Mais pour l’instant, contentons-nous de solliciter son aide. Je compose le numéro de sa firme et on me le transfère aussitôt. J’ai peine à reconnaître sa voix, tellement elle est plus assurée, plus grave, plus virile que dans mon souvenir. Une voix à faire craquer toutes les femmes.
Après les formules d’usage, je lui expose mon problème, lui suggérant une rencontre en tête-à-tête. Je suis trop curieuse de voir ce qu’il a l’air aujourd’hui. S’il est aussi séduisant que sa voix, ça vaut la peine de me déplacer.
-Tu penses que je vais t’aider, après tout ce que tu m’as fait subir?
Oh mais c’est qu’il est fâché! Tentons de l’amadouer avec mon charme; il n’a jamais su me résister. Mais il ne m’en laisse pas le temps.
-Et puis, tiens! Je vais te faire contrôler par Revenu-Québec. Ils vont sonner à ta porte d’ici peu!
Il me raccroche la ligne au nez, me laissant seule avec mon tas de factures éparpillées et un sentiment de découragement total. Je n’ai rien à cacher à l’impôt, mais devoir mettre tout ça en ordre va me prendre mille ans…et retarder encore mon travail de romancière! Belle vengeance, Julien-le-Nerd!
«Vous êtes en retard dans le paiement de vos acomptes provisionnels.»
Acomptes provisionnels? C’est quoi cette bibitte-là? Première fois que j’en entends parler. De qui me provient cette lettre que je viens d’ouvrir? Je regarde l’entête et il s’agit de Revenu Québec. Ah non, pas encore eux!
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD