Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
«Je me roulerai dans les orties jusqu’à ce que je sente une force terrestre s’emparer de moi…et m’insuffler le dernier souffle de vie.»
QUOI! Je n’ai pas pris l’engagement stupide d’écrire cette phrase dans mon prochain roman? Dites-moi que je n’ai pas fait cette connerie-là! Maudite boisson!
Hier, lors d’une soirée bien arrosée, j’ai accepté de relever le défi que mes amis auteurs m’ont lancé : ajouter l’extrait qu’ils allaient eux-mêmes rédiger, dans mon prochain bouquin. Quelle gaffe!
Comment vais-je concilier histoire d’amour et pareille niaiserie? Décidément, il faut que j’arrête de vouloir à tout prix faire partie de ce groupe d’écrivains célèbres, qui profite de ma naïveté. Collègue Sanguinolent en premier. Je dois cesser d’être vue comme la «wannabe».
À compter d’aujourd’hui, les «vedettes de la littérature québécoise» comme on les appelle ne m’auront plus sur les talons. Je vais faire de grands détours dans les salons du livre pour éviter de passer devant leurs kiosques. Encore mieux, je ne les saluerai même plus dans les lancements et je fréquenterai des gens qui m’apprécient, eux.
Fini Collègue Sanguinolent!
Voilà, c’est décidé. Et cette attirance insensée pour Collègue Sanguinolent est, elle aussi, terminée. Désormais, je ne sentirai plus mes jambes devenir molles dès que je l’apercevrai, ni mon cœur battre plus fort quand je lirai son nom dans le programme du prochain salon, ni mes joues rougir quand il daigne m’adresser la parole. Tout ça est bel et bien fini. Fii-N-Ni-Ni!
Je vais leur montrer que je ne suis pas à leur merci. Ils vont arrêter de me traiter de «vilain petit canard de la littérature». Et pas question d’exécuter leur pari idiot. De toute façon, ils ne lisent pas mes romans, ils ne le sauront donc jamais.
J’en ai assez de ces clans. «Tu côtoies un tel? Oh wow, t’es hot!» «Tu es invité au party privé d’un autre? Ça marche tes affaires! » Voici ce que je ne veux plus entendre. Et tant pis si je ne suis pas assez populaire pour qu’on m’invite à participer à un recueil de nouvelles. J’en écrirai un à moi toute seule, en utilisant des pseudonymes.
À l’avenir, mes copines seront les filles qui écrivent des livres pédagogiques pour les enfants. Elles, elles sont aimables et m’acceptent comme l’auteure de chick-lit que je suis. Des filles authentiques, quoi!
Je me sens libérée d’un immense poids. Que la vie va être belle maintenant! Et beaucoup plus simple. Mes amitiés seront vraies et non pas fondées sur le vedettariat.
Je retourne à mon ordinateur pour écrire quelques pages de mon roman qui, j’en suis convaincue, seront excellentes. Ma décision m’a donné beaucoup d’inspiration.
Deux lancements
Un petit tour sur Facebook me permet de voir que j’ai deux nouvelles invitations pour des lancements de livre. Et c’est le même soir, oh non! Voyons de qui il s’agit.
Tout d’abord, on me convie à un 5 à 7 pour célébrer la parution d’un ouvrage sur l’estime de soi chez les adolescents. Ohh… intéressant! Un événement où les participantes, en majorité des profs et des psychoéducatrices, seront là sans se mettre en compétition les unes avec les autres. En plein ce dont j’ai besoin,
Le deuxième a lieu dans un bar branché de Montréal et il souligne la mise en marché des nouveautés de la Collection noire, dont le dernier polar de Collègue Sanguinolant. Pfff…Ils vont se passer de moi.
Je confirme ma présence au lancement du livre pédagogique, quand je m’aperçois qu’il a lieu dans une lointaine banlieue de la rive-nord. Hein? M’aventurer sur la route en pleine heure de pointe et perdre de précieuses heures de rédaction? À quelques jours de la remise de mon manuscrit? Mauvaise idée!
Je réfléchis quelques instants et j’en viens à la conclusion que je n’ai pas le choix : je vais devoir aller au 5 à 7 de mes amis vedettes, qui a lieu à deux coins de rue de chez-moi. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour se donner la chance de respecter ses heures de tombée, hein?
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD