Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Encore une fois cet été, nous sommes venues à la mer pour une semaine de vacances entre filles. L’an dernier, ça s’est un peu mal passé à cause de ce qu’elle appelle «ma dépendance à l’écriture».
Parce que je voulais absolument rédiger une intrigue impliquant mon héroïne et son nouvel amant du dimanche midi, nous avons manqué un rendez-vous avec deux Américains qui lui plaisaient beaucoup. Elle m’en a voulu, affirmant que je lui avais fait perdre une belle occasion de s’offrir du bon temps avec celui qui avait une petite cicatrice au-dessus du sourcil gauche; un signe de virilité selon elle.
L’appel de la plume
Cette année, donc, je lui ai promis de ne pas travailler pendant notre séjour. Jusqu’ici, j’ai tenu ma promesse. Mais en ce quatrième matin, l’appel de la plume a été plus fort. Je me suis levée à l’aube pour aller chercher mon ordinateur dans le coffre de la voiture, dissimulé à l’endroit où l’on range le pneu de secours. Oui, j’ai pris un risque en laissant le pneu à la maison, mais je compte sur notre bonne étoile pour que rien ne nous arrive sur la route.
Et tout doucement, sans réveiller ma Best, je me suis barricadée dans la petite pièce pour laisser libre cours à ma passion. Je pensais être tranquille pendant quelques heures, mais voilà qu’elle se lève; elle qui a l’habitude de faire la grasse matinée.
-Youhou? Tout va bien? me relance-t-elle.
Bon, autant m’en débarrasser pendant un bon moment. Je l’avise que j’ai plein de trucs à faire ici : douche, exfoliation, rasage de jambes, massage anti-cellulite, masque pour le visage, etc…
Écriture rythmée
Ma Best rechigne un peu mais elle retourne au lit, me laissant finalement en paix. Pour donner du rythme aux mots qui défilent sur mon écran, je place mes écouteurs boutons dans mes oreilles et j’écoute à fond le dernier disque de Marie-Mai. Mes doigts s’activent sur le clavier et je retrouve ce bonheur de créer et d’avancer dans mon roman.
Depuis que je suis romancière, le concept de vacances est devenu plus ou moins flou. Je préfère maintenant parler de semi-vacances. Difficile de laisser de côté une histoire qui nous habite depuis des mois, voire des années. Et puis, il y a la peur. Celle de ne plus être capable de pondre des pages et des pages, si je prends une trop longue pause.
D’accord, tout le monde me dit que j’exagère, que l’écriture, c’est comme le vélo, que ça ne se perd pas. Peut-être que c’est vrai, mais je préfère ne pas prendre de chances. Quand je suis plus de quatre ou cinq jours sans noircir du papier, j’angoisse. Et aussitôt que je m’y remets, tout ça disparaît d’un seul coup!
Pour ma Best, mon urgence d’écrire ne fait aucun sens. Malgré toutes mes explications, elle estime que je passe à côté de la «vraie vie». Celle qui se passe ailleurs que dans ma tête. Mais comme elle n’est pas auteure, elle ne peut PAS comprendre, alors je ne lui en veux pas.
Je m’absorbe entièrement dans un passage compliqué. Je me creuse la tête pour utiliser le bon ton, effaçant parfois des phrases entières pour les remplacer par d’autres que je finis par trouver aussi nulles. Je recommence et je recommence, la musique de ma chanteuse préférée qui m’accompagne.
Je me perds dans mon univers et je ne vois plus le temps passer Soudainement, la porte de la salle de bain s’ouvre avec fracas. Un cintre en métal à la main, ma Best se tient devant moi, complètement paniquée. J’enlève mes écouteurs.
-Ça fait vingt minutes que je frappe et tu réponds pas. Je pensais que t’étais morte!
Puis, elle aperçoit mon ordinateur et me jette un regard noir. Elle referme la porte tout aussi violemment, en me traitant de tous les noms. Et je retourne à mes personnages, en me promettant de lui payer une bonne bouteille de vin ce soir pour me faire pardonner.
-T’en as encore pour longtemps?
Enfermée dans la salle de bain de la chambre d’hôtel que je partage avec ma Best, je ne réponds pas à sa question. Trop occupée que je suis à terminer le troisième chapitre de mon roman en cachette.
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD