Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
-Veux-tu un espresso? Un thé vert? Un cupcake, peut-être?
Non, non et non. Voilà ce que je réponds à l’éditeur qui, en ce lundi matin, m’a convoqué à son bureau. Qu’il en vienne au fait!
La semaine dernière, j’ai fait parvenir mon manuscrit à celui qui a pouvoir de vie ou de mort sur mes mots, mon histoire… et même sur ma carrière d’auteure.
Un homme qui peut décider de trop choses dans ma vie. Un homme que je déteste et que j’aime à la fois. Complexe, mais c’est comme ça.
Il y a maintenant six jours, une heure et trente-trois minutes, que l’éditeur a reçu les 397 pages de mon nouveau roman. Treize mois de travail acharné dont je suis plutôt satisfaite. Enfin…dont je croyais être satisfaite, jusqu’à ce que je reçoive ce courriel:
Chère romancière angoissée,
j’aimerais qu’on jase un peu, toi et moi.
À mon bureau, lundi 9h?
Merci de ta disponibilité et de ta légendaire ouverture d’esprit.
Signé : L’éditeur adoré.
Tout ça est de très mauvais augure et pas subtil pour deux sous. À ce que je sache, je n’ai pas de «légendaire ouverture d’esprit», c’est même tout le contraire. Je peux être totalement bouchée quand je m’y mets. Surtout quand il s’agit de création.
Et que dire de sa signature : L’éditeur adoré. Plus manipulateur que ça, tu meurs!
C’est pourquoi je suis sur mes gardes. Et je ne cèderai pas à ses tentatives de me corrompre par l’estomac. Il veut qu’on jase, eh bien qu’il le fasse, lui.
-Je voulais te voir ce matin…
-C’est pourri, hein? Dis-le donc que c’est pourri!
-T’exagères, mais…
Critique assassine
Et le voilà parti dans une critique assassine de MON œuvre. Manque de rythme, personnages sans substance, intrigue légèrement improbable, vocabulaire répétitif, etc..
Pendant que je l’écoute, je m’imagine lui faire subir une séance de torture digne ce celles qui se déroulaient dans la Tour de Londres au Moyen Âge. Non mais pour qui il se prend, lui? Ce n’est pas comme s’il avait déjà pondu des romans.
Le seul texte qu’il a publié, c’est une nouvelle d’une platitude incroyable sur un kangourou en amour avec une gazelle. De un, il n’y a pas de gazelle en Australie; c’est du moins ce qu’on apprend quand on google les deux mots ensemble. De deux, tout ce qu’il a obtenu, ce sont deux étoiles sur cinq de la part du plus réputé critique littéraire du Québec. #Fail.
-Écoute, c’est normal, poursuit celui que je considère à l’heure actuelle comme le diabolique éditeur. C’est ton premier polar.
Peut-être mais c’est mon quatrième livre. Je ne suis pas ce qu’on appelle une novice. Je dois toutefois admettre que de passer de la romance au policier (historique en plus) n’était pas un lien… des plus naturels, disons.
Mais il faut bien se donner des défis si on veut avancer dans la vie et impressionner Collègue Sanguinolent en allant jouer dans ses plates-bandes. Je l’avoue, mon premier but en me lançant dans la rédaction d’histoires d’horreur est d’obtenir l’attention du populaire auteur qui me fait rêver. Et j’ai bien l’intention d’y arriver, coûte que coûte.
-Tu veux que je le recommence au complet ou quoi?
-Je me demandais plutôt si tu accepterais de travailler à quatre mains.
Pas de Skippy!
Quoi? Il souhaite qu’on réécrive mon histoire ensemble? Avec la fascination que les kangourous exercent sur lui –je le soupçonne d’ailleurs de se taper de vieux épisodes de Skippy sur Youtube- il va vouloir transporter mon récit en Australie et faire enquêter mon détective sur des meurtres de kangourous.
Et si jamais c’est un succès, il va s’approprier tout le crédit. Pas question! Inutile toutefois de lui dire de façon aussi bête. Je lui fais plutôt valoir que son emploi du temps est déjà très chargé.
-Ah mais je ne pensais pas à moi. Je parle d’un auteur expérimenté.
Mon cœur s’emballe au moment où il m’annonce dit que Collègue Sanguinolent accepte de me servir de guide. Finalement, cette expérience à quatre mains risque d’être beaucoup plus intéressante que je ne le pensais…
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD