Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Dire que je fondais tant d’espoir dans cette rencontre. Mais tout ce qu’il trouve à m’offrir, c’est de jouer un rôle qui ne me plaît pas du tout.
Collègue Sanguinolent agit comme directeur littéraire d’un recueil de nouvelles sur un thème que je trouve un peu psycho-pop : être parent à l’ère d’Internet. Un projet qui ne se veut heureusement pas didactique.
Lui et ses comparses raconteront chacun une histoire sur ce sujet, inspirée de leur propre vécu puisqu’ils sont tous des papas. Et moi, qui ne suis ni un mec, ni un parent, qu’est-ce que je viens faire là-dedans? lui ai-je demandé.
Et c’est là qu’il m’a répondu : le vilain petit canard. Ouais, ça me fait une belle jambe, ça. Il souhaite que je raconte l’histoire, mais du point de vue d’une femme qui n’a pas d’enfants, mais dont le conjoint en a un ou plusieurs.
-Tu ferais un excellent vilain petit canard!
Non mais j’en ai marre! Pourquoi faut-il toujours que mes amis auteurs ne me prennent pas au sérieux? À commencer par Collègue Sanguinolent, assis devant moi et pinte de bière blonde.
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD
-Et ça apportera quoi à ton recueil?
Celui qui m’empêche de dormir la nuit parce qu’il est trop beau, m’explique que ma plume distrayante va amener un peu de fraîcheur et de légèreté à l’ouvrage. Bon, si je comprends bien, je vais avoir l’air de la «nounoune» au milieu des intellos…Encore!
Décompressons ensemble
Je fais part de mes réserves à mon ami-peut-être-j’espère-futur-amant. Il ne semble pas d’accord du tout avec mon appréciation et décide plutôt de commander une bouteille de rouge puisqu’il vient de terminer le pichet de bière. Celui-là, il a besoin de décompresser, c’est clair! Aidons-le, un peu.
Sitôt le vin sur la table, je lui en verse un iiiiiiiiimmense verre, question de lui faire oublier complètement sa blonde et son bébé. Pour qu’il ne soit pas trop saoul, et donc encore en mesure d’utiliser toutes les parties de son corps, je nous commande des hamburgers avec du bacon.
Il veut m’avoir dans son fichu recueil de nouvelles? Il veut se servir de ma popularité auprès des filles dans la vingtaine pour s’attirer un nouveau lectorat? Eh bien, soit, il devra se soumettre à un passage obligé : celui dans mon lit. Et c’est non négociable.
De gorgée de vin à gorgée de vin, la discussion passe de professionnelle à personnelle. Il me raconte qu’il en a assez de ne plus pouvoir écrire à toute heure du jour ou de la nuit parce qu’il doit s’occuper de Bébé Sanguinolent.
Il me confie ses angoisses face au roman qu’il termine : est-il aussi bon que les autres? Aussi rythmé? Aussi surprenant?
-Mais oui, c’est certain! Tu peux me le faire lire si tu veux.
Enchanté par cette idée, il sort sa tablette, effectue quelques clics maladroits et me la met sous le nez.
-Tiens, c’est le début.
Un peu déconcertée par sa hâte qui témoigne une grande insécurité, je l’informe que je lirai son manuscrit, mais un autre jour. Le sentant déçu, je lui fais une proposition : on finit notre repas et on se barre chez-moi où je prend connaissance de son œuvre pendant qu’il se repose. Bon plan, non?
Collègue Sanguinolent acquiesce et je suis déjà toute émoustillée à l’idée que je me retrouverai bientôt dans ses bras. Parce que c’est ce qui va arriver, parole de Romancière angoissée!
Moment crucial
Moins d’une heure plus tard, nous voilà dans mon salon. Il roupille étendu sur mon divan pendant que j’entame la lecture de son manuscrit. C’est l’histoire d’un tueur qui garde sa victime prisonnière dans sa cave. Comme toujours, son intrigue est superbement ficelée et me donne des frissons dans le dos.
Tiens, tiens… et si j’accélérais un peu les choses avec Collègue Sanguinolent en jouant la carte de la peur? Bonne idée! Je déboutonne le haut de mon chemisier avant de mettre mon plan à exécution.
-AHHHHHHHHH!
Mon cri de mort réveille mon compagnon. Sans lui laisser le temps de se lever, je me précipite sur lui et je me réfugie dans ses bras.
-Ton roman est trop épeurant. Serre-moi fort!
Pris au dépourvu, il s’exécute néanmoins. Rapidement, les caresses apaisantes se font plus insistantes et n’ont plus rien à voir avec l’auteur qui réconforte une lectrice effrayée. Et c’est grâce à ma petite mise en scène que commence un nouveau chapitre de ma vie qui, je le sens, ne sera pas de tout repos…