Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

-Tu crois que je serais capable d’écrire des histoires pour enfants?

C’est la question que je pose à Collègue Sanguinolent lors d’une des deux soirées clandestines que nous passons ensemble par semaine. Il n’a pas encore quitté sa blonde et Bébé Sanguinolent, mais c’est mieux que rien. Et je sais être patiente.

 

-Pourquoi pas?

Ce que j’aime de mon nouvel amant, c’est qu’il encourage toujours mes projets d’écriture. Sauf quand je parle de pondre un roman d’horreur. C’est sa chasse gardée et il me le fait bien sentir. Pas touche! D’accord chéri…

Stimulée par ses encouragements, je mets tout de suite mon projet de l’avant en appelant Collègue Jeunesse pour l’inviter à un 5 à 7 virtuel.

L’idée de me lancer dans les livres pour enfants m’est venue d’une conversation avec elle. Du fin fond de son Acadie natale, Collègue Jeunesse est une véritable star chez les petits. Et moi, être une star, c’est une de mes aspirations dans la vie. En fait, c’est mon principal projet depuis que celui impliquant Collègue Sanguinolent a connu un dénouement.

Le lendemain, je rencontre mon amie comme prévu sur Skype. Un peu loin l’Acadie pour un apéro. Je lève mon verre de rosé à sa santé et elle fait de même avec sa bière locale.

 

Toute une fée!

-Eille! Ça fait drôle de pas te voir en fée!

Il faut savoir qu’à chaque salon du livre, ma copine se promène avec un accoutrement constitué d’ailes roses et d’une jupe en papier jaune. Étrange, mais semble-t-il que ça plaît aux petits.

Je dois admettre que, les enfants, je n’y connais pratiquement rien. Mais ça ne signifie pas que je ne suis incapable d’écrire pour eux et de devenir, moi aussi, une fée accomplie. Ou peut-être une princesse… faut quand même pas trop copier.

D’autant plus que j’ai appris qu’un album jeunesse pouvait contenir environ mille mots. Seulement mille petits mots! Pfffff… j’écris ça en une demi-journée. Trop facile.

Imaginez les sous que je pourrais faire à rédiger un livre pour enfant par jour, au lieu d’un roman par année. Wow! Je suis déjà toute émoustillée à l’idée de finalement garnir mon compte en banque convenablement.

Collègue Jeunesse me bombarde de questions sur mon projet. Quel est le message que je veux livrer aux petits? À quelle tranche d’âge s’adresse mon histoire? Que sais-je de leurs besoins, leur réalité et leurs préoccupations?

Wô les moteurs ! C’est quoi cette enquête ? Je ne peux pas croire que ça demande autant de préparation. Des beaux dessins, des phrases vivantes, une princesse sauvée par un chevalier et le tour est joué, non ? Pas si simple, croit mon amie fée.

 

«Il était une fois…»

-Je vais te prouver le contraire !

Je trinque une dernière fois avant de mettre à l’ouvrage. «Il était une fois….» Ouache ! C’est beaucoup trop cliché. On recommence. «Dans une belle forêt argentée, se tenait un chêne triste.» Non. De toute façon, je ne sais même pas ce que c’est une forêt argentée, ni un chêne triste.

Allons-y avec une situation qui me ressemble plus. «Au milieu des immeubles de béton, Marie tentait d’apercevoir le ciel bleu. Mais il était gris.» Ahhhhhh ! Là, je tiens quelque chose.

Je poursuis mon conte urbain en ajoutant des personnages fascinants tels un homme-araignée qui escalade un gratte ciel… Tiens, si je lui faisais faire une chute du 30e étage ? Ouais, bonne idée !

Trois heures (et trois autres verres de rosé) plus tard, j’ai en main mon récit, dont je suis assez fière. Je le fais parvenir à Collègue Jeunesse pour obtenir mes premières félicitations.

Sa réponse se fait attendre et mon esprit de romancière en profite pour imaginer tout plein de scénarios…Et si elle n’aimait pas ça? Impensable ! C’est excellent et différent de ce qui s’écrit en jeunesse. Il est grand temps de révolutionner ce milieu et j’ai bien l’intention de m’y mettre.

Bip !

Voilà le message tant attendu. «T’es folle ? Un homme-araignée qui s’écrase au sol devant une fillette, qui se relève le visage ensanglanté et qui veut lui faire un bisou ? Tu veux que les flos fassent des cauchemars toute leur vie ?»

J’essaie de la convaincre que je peux rendre l’intrigue un peu moins violente, mais rien n’y fait. Collègue Jeunesse est convaincue que je n’ai pas la sensibilité qu’il faut pour devenir une auteure jeunesse. Si je veux me recycler, dit-elle, je devrais me tourner vers les histoires d’horreur pour adultes. Mais c’est impossible, mon amant ne veut pas !

Découragée, je fais cul-sec avec mon cinquième verre de vin et je vais me coucher, mon rêve de fée-star-riche-et-adulée envolé…

 

S’improviser auteure jeunesse…

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD