Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Sourire aux visiteurs qui passent devant mon kiosque. Faire comme si ça ne m’atteignait pas que personne ne fasse la file pour venir acheter mes livres et me demander une dédicace.

 

Voilà ce que je me dis, alors que je suis assise sur un petit tabouret inconfortable depuis une heure, tirée à quatre épingles, à regarder les gens défiler devant moi comme si je n’existais pas. Oui, les salons du livre exigent des auteurs une grande dose d’humilité.

Et moi, je m’entends très mal avec l’humilité. J’attends donc impatiemment que la séance de signature se termine pour aller m’éclater avec mes amis auteurs. Et particulièrement Collègue Sanguinolant, romancier qui fait dans l’horreur et prochain gars dans mon lit. Du moins, je l’espère.

J’ai vérifié son horaire de signatures et il termine une demi-heure après moi. J’aurai tout juste le temps d’aller l’admirer secrètement pendant qu’il s’entretient avec ses lecteurs. Parce que lui, il a une file d’admirateurs, le chanceux!

 

 Yé ! De la visite

Souris, la romancière, souris…plus que 23 minutes à jouer la comédie.

Ah tiens, une dame s’approche de ma table. Yé! Elle me regarde, perplexe, lève les yeux sur l’affiche indiquant mon nom et revient à moi. Je m’apprête à la saluer quand elle m’interrompt.

-Janette, c’est pas ici?

Mon sourire se décompose d’un coup. Non, Janette Bertrand ne signe pas de livres ici… me semble que c’est assez clair! Ça, c’est ce que j’ai envie de hurler. Mais bon, restons polis.

-Janette, c’est juste à côté, mais elle n’est pas arrivée encore. Moi, par contre, j’ai des super romans de chick-lit.

-On vous connaît pas, vous! Vous ne passez pas à la télé.

Et la voilà qui s’éloigne sans plus de façon, me laissant seule avec toute ma frustration de ne pas être une vedette. Un jour, tu me verras à la télé, espèce de vieille haïssable! Et tu les achèteras mes romans!

 

Bonbons, chocolats, etc.

J’ai tout essayé pour attirer les visiteurs à mon kiosque. Je leur ai offert des bonbons colorés, des chocolats, des stylos en forme de chiens, des sacoches miniatures clinquantes. Les seuls que j’ai réussi à séduire, ce sont des fillettes. Pas tout à fait mon lectorat!

Une autre visiteuse s’avance. Cette fois-ci, c’est la bonne, j’en suis convaincue.

-Pardon madame, où sont les toilettes?

WHAT? Vous ne voyez que je suis une auteure? Et non la directrice de la circulation du salon!

-Désolée, je l’ignore.

Non contente de cette réponse, la visiteuse dépose le programme du salon sur ma table et commence à le feuilleter devant moi, bloquant ainsi l’accès à de vrais lecteurs qui voudraient venir me saluer. J’enrage.

Mais parfois, la présence d’une personne en attire une autre et c’est ainsi qu’un jeune homme se pointe devant moi.

-J’ai lu votre premier livre. Bravo!

Enfin! Un truc positif dans cette horrible journée.

-Merci! J’ai les autres tomes ici. Et si vous les achetez maintenant, je peux vous les dédicacer.

-Pas nécessaire. Je les prends à la bibliothèque. Mais vous voulez me signer un signet?

Je soupire, mais je m’exécute quand même. Je ne ferai peut-être pas de vente ici, mais je ferai un heureux.

La séance se termine quand on m’informe que l’écrivain qui devait prendre ma place ne se présentera pas. La table est à moi pour deux autres heures si je le souhaite. J’hésite. Pas trop envie de me morfondre à nouveau et surtout de manquer l’occasion de revoir Collègue Sanguinolent. Mais je reste quand même. Parce qu’à force de persévérance, je vais les gagner mes lecteurs. Un par un.

Quelques minutes plus tard, Janette fait son apparition à mes côtés, amenant avec elle des dizaines et des dizaines de fans. Une immense file se forme et passe tout juste… devant moi, bloquant ainsi la vue aux autres visiteurs. Et je redeviens la romancière invisible.

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD