Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Afin de passer incognito, j’ai enfilé un foulard aux motifs de léopard sur la tête, le nouant à la mode des années 60, ainsi que d’énormes lunettes de soleil blanches. Ainsi déguisée, pas de risque que les libraires reconnaissent l’auteure venue vérifier s’ils font bien leur travail. Si je suis inconnue du grand public, ceux qui vendent mes livres savent, eux, qui je suis. La photo à l’endos de ma couverture me trahit.
Pendant que j’arpente les allées à la recherche de mon bouquin, j’entends un brouhaha qui vient de la salle du fond. Intriguée, je baisse mes lunettes et j’aperçois un regroupement de gens au loin et une affiche indiquant : Lancement du recueil de nouvelles policières.
Oh, Oh…Je devrai être prudente si je ne veux pas tomber sur un ami écrivain qui aurait tôt fait de me démasquer. Et de comprendre mon stratagème puisqu'il l'a possiblement déjà lui-même expérimenté.
Je rase les étalages, le nez collé contre les titres qui défilent, sans jamais trouver le mien. Décidément, je ne suis pas bien considérée ici. Soudainement, au fin fond de l’allée, je distingue les couleurs éclatantes de la couverture de mon dernier tome sur la rangée du bas. Un peu plus et il se retrouvait carrément sous la bibliothèque. Quelle humiliation! Il mérite un meilleur sort.
Deux misérables copies
J'agrippe les deux copies de mon oeuvre... Deux, hein? Vraiment on ne m'aime pas ici! Je les glisse sous mon manteau de pluie qui, je le savais, allait être nécessaire à la réalisation de ma mission. J'arrive derrière la vitrine du commerce, où les livres sont bien en vedette. C'est là que je veux que le mien soit placé.
-On peut vous aider?
Comme par magie, le libraire vient d'apparaître à ma gauche. C'est que je ne l'ai pas vu arriver du tout, lui. Avec ses vieux mocassins bruns tressés, il ne mène pas beaucoup de bruit. Beaucoup moins que moi avec mes bottillons à semelles compensées.
-Non, non, tout va bien merci!
Je serre mon imperméable contre ma poitrine, sous son regard suspicieux. Heureusement, le vêtement est trop grand pour moi et rien n'y paraît. Il m'observe quelques instants puis tourne les talons. Ouf! Je l'ai échappé belle!
Je me penche pour déposer mes exemplaires sur la tablette de la devanture quand le commerçant m'interpelle à nouveau.
-Qu'est-ce que vous faites?
Non mais il ne peut pas me laisser tranquille deux minutes! Je remets immédiatement le tout sous mon manteau et je me relève pour lui faire face.
-J'ai glissé.
Son regard incrédule en dit long sur ce qu'il pense de mon excuse. Il me demande expressément d'ouvrir mon imper. Pas question mon homme! Une voie sortie de nulle part vient heureusement me sauver.
-Salut romancière angoissée!
Tiens donc, Collègue Sanguinolent, qui tient un verre de vin rouge à la main. Évident qu'il collabore à ce recueil de nouvelles policières, j'aurais du y penser... Rassuré d'apprendre que je connais l'auteur vedette, le marchand retourne à ses occupations qui semblent d'une platitude totale. Replacer des ouvrages sur une étagère n'est pas ce qu'on appelle une tâche palpitante.
Vite, on se déshabille!
Avec mon accoutrement digne d'un vaudeville, je réalise alors que j'ai possiblement l'air d'une vraie folle devant celui que j'espère toujours séduire même s'il n'est pas libre et qu'il est nouveau papa. Vite, enlevons-en une couche.
D'un geste sec, je retire mon foulard et mes lunettes, laissant ainsi échapper mes romans au sol... Noooooooon! Ne comprenant visiblement pas mes intentions, Collègue Sanguinolent me jette un regard éberlué.
-Tu voles les bouquins que t’écris? T'es plus weird que je pensais...
Voilà qu'il me quitte pour retrouver ses comparses et leur raconter que je suis juste bonne à enfermer à l'hôpital psychiatrique. Je veux mourir. Comme si ce n'était pas assez, le libraire revient vers moi, sourire diabolique aux lèvres. Il m'annonce que si je ne paye pas le matériel subtilisé, je devrai faire face à la police. Et c'est comme ça que je me retrouve à acheter mes propres livres, en éprouvant la pire honte de ma vie.
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD
J’entre dans la librairie de mon quartier afin de m’adonner à mon activité préférée depuis la publication de mon dernier roman : m’assurer qu’il est bien visible sur les tablettes.