Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Ma grosse valise rose ouverte devant moi, je lis les indications que m'ont fait parvenir les organisateurs d’un chouette salon du livre qui se déroule en région éloignée. Pour assurer notre transport, à moi et à mes amis auteurs, ils ont nolisé un avion juste pour nous. Superbe initiative que j'ai applaudie...avant de connaître les consignes.
«Votre seul et unique bagage ne doit pas peser plus six kilos.» Dahhh... c’est parce que seulement avec mes chaussures, je dépasse cette limite !
Vraiment, ils ne sont pas conscients de l’importance que doit accorder une auteure à ses tenues dans les événements publics, surtout quand ils se poursuivent pendant quatre jours. Mettre deux fois la même robe ? Le même jeans ? Pas question !
J’essaie d’éliminer quelques-uns des items empilés sur mon lit et que j’avais prévu apporter. Puis-je me passer d’un de ces cinq chandails ? Euh… non. Ce sont mes kits de soirée et ils doivent être différents.
Condamnée aux robes
À cause de mon image publique, je suis condamnée à porter des robes roses avec des escarpins vertigineux. Les lectrices ne comprendraient pas que je ne sois pas habillée comme mes personnages. C’est ma marque de commerce.
Mais le soir venu, quand je vais manger des ailes de poulet avec mes amis auteurs, je ne veux surtout pas avoir l’air d’une romancière déguisée en princesse. C’est pour ça que j’apporte des vêtements plus sexy, qui font moins «poupée Barbie»… surtout que Collègue Sanguinolent adore les ailes de poulet .
Bon, tentons de voir si je peux alléger mon sac à cosmétiques. C’est vrai qu’il y a un nombre légèrement élevé de rouges à lèvres (huit), mais je dois tout prévoir. Est-ce que je vais être d’humeur «rouge gourmand», «glamour rose» ou «power kiss» ? Impossible de le savoir à l’avance.
Un objet que je peux sacrifier, c’est le parfum. Pour sentir bon, je n’aurai qu’à faire un détour par la pharmacie du coin pour m’asperger d’une nouvelle fragrance tous les jours. Voilà une bonne chose de réglée.
Une petite pile après une autre, je dépose ce qui constituera le contenu de ma valise sur mon pèse-personne. Le résultat est catastrophique : le double de la limite permise. Oh là, là… quelle horreur ! Bon d’accord, je pourrai m’habiller en oignon pour le vol, en portant plusieurs couches de vêtements, mais cela ne fera pas suffisant.
Un kilo à emprunter svp ?
Et si je faisais appel à mes collègues pour qu’ils me viennent en aide ? Oui, bon plan! J’envoie un message à tous ceux qui prennent l’avion avec moi.
«Je peux vous emprunter un ou deux kilos, svp ?» Les réponses ne tardent pas à rentrer mais rien de positif. Tous ont besoin de leurs six kilos de bagages, même les gars. Et même ceux qui portent toujours les mêmes jeans. C’est quoi l’idée ? Me voilà bien mal prise. Il me faut trouver une stratégie.
Et c’est là que j’ai un éclair de génie. Je vais dire que mon éditeur a oublié d’acheminer mes livres pour le salon et que je dois moi-même les transporter. Ils ne pourront pas refuser ma valise, que je remplis à ras bord à l’instant même de vêtements.
Une fois à l’aéroport, mon plan marche sur des roulettes. L’agente de bord, qui s’occupe aussi des bagages, comprend très bien qu’on ne puisse pas se présenter dans un salon du livre… sans livres.
-D’ailleurs, me dit-elle toute mielleuse, j’adore vos romans.
-Merci !
-Mais je n’ai pas le dernier. Vous pouvez m’en prêter un ? J’aimerais le lire pendant le vol.
-Euh…C’est que….
L’agente m’implore du regard et je me sens vraiment mal à l’aise. Je n’ai aucun exemplaire avec moi, ce qu’elle ignore évidemment. Pendant que je cherche dans ma tête quelque chose d’intelligent à dire, elle couche ma valise sur le sol…et se prépare à l’ouvrir. J’essaie de l’en empêcher, mais je n’y arrive pas. Elle est trop déterminée à me chiper un bouquin. Pourquoi suis-je tombée sur une admiratrice un peu trop intense ?
Finalement, elle parvient à ses fins et c’est avec un énorme sentiment de honte que je la vois fouiller à travers mes mille et uns vêtements à la recherche d’un livre, qui n’est tout simplement pas là. Frustrée de la situation, l’agente me confisque les deux tiers de mes bagages et je pars pour le salon en me disant que je n’aurai pas le choix de magasiner sur place. Une fille a son honneur !
Six kilos de bagages? Même pas quinze malheureuses petites livres? lls sont malades ou quoi?
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD