Nathalie
Roy
Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon
Toute la controverse qui a eu lieu autour de l’achat de livres pour les bibliothèques scolaires m’a donné une idée : faire connaître la littérature québécoise à ceux qui nous gouvernent, en offrant un service de prêt gratuit et convivial.
J’ai donc installé un petit kiosque sur le terrain du Parlement de Québec, avec une table remplie d’ouvrages de tous les genres : romans, livres jeunesse, guides pratiques, essais, biographies, etc...,
Il y en a qui manifestent, d’autres qui écrivent des lettres dans les journaux ou qui participent à des débats télévisés, moi, mon approche est différente. Je veux les faire tomber amoureux de la lecture, tout comme je le suis.
J’espère ainsi qu’ils se comporteront avec le livre québécois de la même façon qu’on le fait avec notre amoureux : le chouchouter, le protéger et parler de lui à tout un chacun. C’est un pari hasardeux mais qui risque rien n’a rien, n’est-ce pas?
J’ai fouillé dans ma bibliothèque personnelle et j’ai soigneusement choisi chacun des bouquins que je propose. J’ai aussi sollicité l’aide de mes collègues auteurs pour qu’ils me prêtent des livres.
La plupart ont accepté, mais certains m’ont regardée comme si j’étais une demeurée. «C’est débile ton affaire…Tu vas perdre ton temps…Ça donnera strictement rien.» Je suis peut-être naïve, mais moi, j’y crois.
-Alors, monsieur le député. Un polar? Une biographie, peut-être.
-Euh… une autre fois. Là, je suis pressé.
Un porte-voix?
Il s’éloigne sans plus de façon. C’est le troisième à me faire le coup depuis dix minutes. Et que dire de ceux qui font un immense détour pour éviter de passer devant moi, ou qui font mine de parler au téléphone, l’air anxieux. Soit ils sont tous trop occupés pour s’arrêter quelques instants, soit ils ne veulent rien savoir de moi. Frustrant…Bon, ne nous décourageons pas. Je vais bien finir par en attraper un.
C’est certain que, toute seule, je ne fais pas le poids. Si nous étions plusieurs écrivains, ça aiderait. Mais comme personne n’a accepté de m’accompagner, je dois me débrouiller et trouver une façon d’attirer de futurs lecteurs.
Et si j’utilisais un porte-voix pour faire passer mon message. Je pourrais crier quelque chose du genre : «Par ici, monsieur le ministre. J’ai un cadeau pour vous.» Il pourrait difficilement se défiler, quoique…
En fait, il me faudrait un vrai incitatif… comme une caméra de télévision. Mais oui! Les élus sont souvent à la recherche de publicité; ils vont vouloir jouer les vedettes, surtout que c’est une bonne cause. Je m’empresse d’appeler les médias.
Vingt minutes plus tard, une équipe de tournage se pointe à mon kiosque et commence à diffuser des images sur la chaîne d’information, en plus de m’interviewer. J’explique le but de ma démarche, ajoutant un commentaire bien senti sur les difficultés de gagner sa vie comme romancière au Québec. Faire pitié, c’est toujours gagnant.
Un miracle
Comme par miracle, mon kiosque est soudainement bondé. Souriante, je distribue mes bouquins comme des petits pains chauds, en conseillant mes «clients» selon leurs préférences, en leur suggérant des albums pour leurs enfants. Quel succès! Si ça continue, je n’aurai plus un livre à prêter d’ici la fin de la journée.
Quelques heures s’écoulent et je poursuis ma mission, maintenant entourée de six journalistes, qui relaient l’info sur les réseaux sociaux, en utilisant les mots-clics #opérationcharme #lecture #AssNat.
Soudainement, je vois poindre un groupe à l’horizon. Ils sont une dizaine à se diriger vers moi, chacun une boîte dans les bras. Mon cœur s’emballe en les reconnaissant. Mes amis écrivains, Collègue Sanguinolent et Collègue Chick en tête, s’en viennent me prêter main forte. Wow!
-Romancière angoissée! T’as eu une super bonne idée, me lance l’auteur d’histoires d’horreur le plus célèbre de la province.
Tiens, tiens… tout un changement d’attitude. Hier encore, il me regardait de haut quand je lui parlais de mon plan. Mais bon, l’important, c’est que nous soyons réunis pour la cause… tout en ne négligeant pas de faire notre propre promotion. Cela va de soi!
-Monsieur le député, voulez-vous lire un bon livre?
J’interpelle gentiment l’élu qui vient de sortir de l’Assemblée nationale en cette belle matinée ensoleillée.
ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD