Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

«Il la renversa sur la table de la cuisine, la déshabilla tout en prenant soin de lui laisser ses escarpins, pour ensuite l’emmener directement au paradis.»

Et voilà! Un autre chapitre terminé. J’adore laisser mes lecteurs sur une scène de sexe. Qu’ils s’imaginent le reste, ça mettra un peu de piment dans leur vie qui, si elle est comme la mienne, n’a vraiment rien pour s’exciter le pompon!

Écrire, manger, dormir… j’ai l’impression que je ne fais que ça depuis quelques semaines. Et j’ai l’intention de briser cette ennuyante routine aujourd’hui, en m’offrant une séance de shopping bien méritée.

Et si j’appelais ma Best pour qu’elle se joigne à moi? Yesssss! Bonne idée!

-Salut! Tu viens magasiner?

-Euh… c’est que je travaille, moi!

Ça y est! Parce que je n’ai pas d’horaires fixes, que je bosse de la maison, tout le monde pense que je passe mes journées à liker les statuts Facebook de tout un chacun, à rêvasser dans mon bain avec des concombres sur les yeux ou à faire une brassée de blanc.

Bon, d’accord, c’est parfois vrai, Mais pas ces derniers temps, alors que j’ai écrit plus de 18,000 mots par semaine. Oui, nous les auteurs, nous comptons nos mots. Parce qu’ils sont plus nombreux que les pages, donc c’est plus encourageant. Avouez que 18,000 mots, ça impressionne!  Bien plus que 61 pages.

 

Un vrai travail

On sait bien, ma Best a un vrai travail, elle. Journaliste d’enquête dans un grand quotidien, ça c’est du sérieux. Oh que oui, madame. Alors que romancière…

-Juste une petite heure ce midi ? S’il-te-plaît…

-T’es pas allée avant-hier?

D’accord, c’est vrai. Mais avant-hier, c’était pour la fin de mon chapitre précédent et du dénouement d’une intrigue hyper compliquée qui m’a empêchée de dormir pendant deux nuits.

Parfois, il m’arrive de commencer à écrire une péripétie romanesque sans avoir la moindre idée du dénouement. Un peu hasardeux comme méthode, mais généralement ça fonctionne bien. Sauf la dernière fois où je me suis coupée les cheveux en quatre pour en arriver à une conclusion que j’hésiterais à qualifier de crédible mais qui va faire la job, comme on dit.

Je me demande si je ne devrais pas travailler comme Collègue Sanguinolent, réputé auteur d’histoires meurtrières. Il m’a raconté, un soir de party d’écrivains, devant une bière format géant, qu’il rédigeait un plan avant d’entamer l’écriture de son polar.

Perdue dans ma contemplation -ça fait des mois que j’essaie de faire comprendre à Collègue Sanguinolent qu’il m’intéresse- je n’ai pas retenu le nombre de pages que contient son fameux plan. Un vague souvenir me fait penser qu’il s’agit d’une centaine. Quoi! Cent pages de plus à écrire? Pas le temps pour ça!

-Est-ce que je peux faire quelque chose pour te corrompre? demandai-je à ma Best.

 

Imagination débordante

J’attends sa réponse en l’imaginant en train de dissimuler sa nouvelle caméra cachée dans son soutien-gorge. Tout ça devant un patron hyper sexy qui ne se fait pas prier pour tester ladite caméra.

Ça, c’est un léger problème depuis que j’écris des histoires parfois loufoques. Je ne cesse de créer des scènes dans ma tête, impliquant mes proches. Et quand je pouffe de rire juste en les regardant, ils me prennent pour une folle.

-Tu sais bien qu’une journaliste d’enquête est incorruptible!

Je l’informe que son statut de Best l’oblige à répondre à mes besoins essentiels. Et que le shopping en fait partie. Point final!

-Tu peux pas me manipuler comme tu le fais avec tes personnages, s’exclame-t-elle avant de me raccrocher au nez.

Puisque je n’ai pas envie de sortir seule mais que je cherche une distraction qui me fera dépenser des sous que je n’ai pas, je décide de magasiner sur Internet.

Quatre paires de chaussures plus tard, je retourne à mon roman, bien décidée à faire subir à mon héroïne, la pire humiliation de sa vie. Après tout, c’est de sa faute si mon compte de carte de crédit est trop élevé pour mes moyens. C’est elle qui aime les escarpins. Pas moi!

Une récompense
bien méritée!

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD