Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Je quitte mon petit tabouret et je m’avance vers elle pour prendre la pose.

-On va se faire un selfie, ajoute-t-elle.

Oups… ça, j’aime moins ça, par contre. Les photos prises à bout de bras montrent trop souvent mon double menton et me donnent cinq kilos supplémentaires. Pas question! D’autant plus que je sais que ma lectrice va s’empresser de publier la dite photo sur Facebook. Pas trop bon pour mon image, ni pour mes futures relations avec Collègue Sanguinolent que j’espère encore attirer dans mon lit même s’il n’est pas célibataire.

C’est d’ailleurs la tâche à laquelle je vais m’atteler dès que ma séance de signatures est terminée puisque mon prospect participe, lui aussi, au salon du livre de cette charmante région.

 

Grosse patate

Je n’ai pas le temps de l’en empêcher que ma compagne tend le bras et prend sa photo. Je lui demande poliment si je peux la voir et je constate, comme je le craignais, que j’ai l’air d’une grosse patate.

-Euh… on peut la refaire svp? Et pas de selfie, OK?

-Pourquoi, vous êtes super belle! Et moi, je suis à mon meilleur.

Avec tact, mais fermement, je la persuade de reprendre l’exercice. Ce qui semble la contrarier. Non mais pour qui elle se prend? Embarrassée, elle m’explique que neuf fois sur dix, quand elle refait une photo, elle ne s’aime pas. Drôle de raisonnement! Pour ma part, c’est souvent le contraire : plus je pose, meilleure je suis.

Son autre argument, c’est que «faire un selfie, c’est bien plus hot». Dahhhh! Peut-être pour toi, mais pas pour moi.

Elle accepte à contrecœur de se plier à mes exigences et nous reprenons nos positions, pendant qu’une autre fille qui attend en ligne pour me rencontrer, tient la caméra. Je lis dans ses yeux qu’elle a hâte qu’on en finisse pour pouvoir me serrer la main. Surtout que «ma lectrice parano de la photo» m’a accaparée pendant de longues minutes, se fichant complètement des autres! Une situation qui me met toujours mal à l’aise.

Après quelques clichés, elle vérifie le tout. Pas une des photos ne fait son bonheur! Sur la première, elle trouve son sourire figé, sur la deuxième, elle a les yeux trop petits, sur la troisième, elle a la tête croche… Oh my God! Ça va durer longtemps cette mascarade?

Pour accélérer les choses, l’autre lectrice se met de la partie et lui en désigne une qu’elle trouve fort bien.

-Là, c’est pas moi le problème. C’est elle!

Je suis outrée de voir qu’elle parle comme si je n’étais pas là. D’autant plus qu’elle ajoute :

-Elle n’a même pas l’air contente d’être avec moi!

 

Un auteur à conquérir

Ça suffit! Je lui arrache l’appareil photo des mains et je juge par moi-même. D’accord, j’ai un air légèrement bête mais c’est parce que je suis exaspérée. J’ai d’autres livres à signer et un auteur à conquérir, moi! Je lui donne donc ma bénédiction, qu’elle me foute la paix.

Elle me quitte, un peu déstabilisée. En accueillant mes autres visiteuses, je me demande si je ne suis pas allée trop loin. Je dois admettre que, quand je m’apprête à draguer Collègue Sanguinolent, je m’énerve pour un rien.

La séance se termine à mon grand soulagement et je me rue au Café des écrivains, espérant qu’il y soit. Coup de chance, il discute avec d’autres auteurs au fond de la pièce. Ils semblent bien s’amuser en regardant l’écran d’un téléphone intelligent qu’ils font circuler d’une main à l’autre.

Quand je m’approche, un silence de plomb s’installe autour de la table. Collègue Sanguinolent me regarde d’un air narquois, en m’informant que je suis la vedette du jour sur Facebook.

Inquiète, je consulte mon propre cellulaire et je m’aperçois que ma «lectrice parano de la photo» m’a fait toute une réputation. Elle me traite de sans-cœur et d’égocentrique. Elle a même dessiné des cornes rouges sur ma tête, laissant supposer que je suis le diable en personne. Mais le pire, c’est que des dizaines de personnes ont commenté la photo et ils semblent tous la croire. Oh non! Ça m’apprendra à ne pas être «poker face» avec mes fans!

Une lectrice parano de la photo!

-Je peux prendre une photo avec vous?

La demande de ma lectrice me fait chaud au cœur. Même si elles sont des dizaines à me faire cette requête lors des salons du livre; chaque fois, je considère ce moment comme un honneur. Ça prouve qu’elles me voient un peu comme leur amie.

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD