Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Je ne pouvais surtout pas manquer une conférence de Collègue Sanguinolent. Impossible! L’auteur le plus sexy au monde se tient devant moi, tout sourire. Bon d’accord, le sourire est peut-être destiné aux autres filles qui boivent ses paroles, mais on s’en fout! Dans ma tête, c’est à moi qu’il fait du charme. À personne d’autre.

Une fesse appuyée sur le pupitre du professeur, il s’adresse à la classe de secondaire IV de cette école privée où il a été invité. Je me suis faufilée parmi les jeunes filles vêtues de jupes à carreaux, puisque c’est le seul endroit où la conjointe de Collègue Sanguinolent ne le suit pas à la trace. Une vraie tâche, cette pétasse!

Ce ne fut toutefois pas de la tarte de convaincre le directeur de l’établissement de me laisser assister à l’événement. J’ai dû inventer que je préparais un texte sur le métier d’auteur pour un obscur site web. Il m’a fait promettre de lui faire parvenir l’article en question. Ça pose un léger problème, mais je verrai en temps et lieu comment le résoudre. Pour l’instant, l’heure est au fantasme.

-Construire l’intrigue…beaucoup de recherche.…brouillage des pistes.

 

Seul à seule

Qu’est-ce qu’il est passionnant! Dire que tout à l’heure, quand la rencontre sera finie, j’irai le voir de plus près pour lui expliquer ma présence ici. Seul à seule. Pour lui, j’ai une autre version. Je lui annoncerai que je me suis remise à l’écriture de mon polar, un projet que j’avais mis de côté par découragement.

C’est lui qui avait corrigé mon manuscrit. Assez sévèrement merci. Outrée au départ, je me suis calmée par la suite et j’ai fait les changements qu’il m’a proposés. Il va être fier de moi.

Une élève aux taches de rousseur un peu trop proéminentes lève timidement la main pour poser une question à Collègue Sanguinolent.

-Ça fait quoi d’être un écrivain vedette? lui demande-t-elle, en se tortillant sur sa chaise de bois.

Le visage du conférencier s’illumine et son torse se bombe légèrement. Rares sont les auteurs qui n’aiment pas qu’on les qualifie de vedettes. Même si dans les faits, nous sommes loin d’être aussi connus que les artistes de la télévision.

À quelques exceptions près, on ne nous arrête pas dans la rue pour nous solliciter un autographe sur le bras gauche. Mais ça fait toujours un petit velours de se faire traiter de star. Heureusement, il ne se la joue pas trop grosse et répond humblement que ce qui compte, c’est de partager son amour de l’écriture. Les honneurs, ça ne lui fait ni chaud, ni froid. Me semble, oui…

 

Étourdissements en prime

Est-ce que c’est la chaleur de plus en plus accablante ou mon corps qui se consume lentement de désir, qui me cause des étourdissements? Quoiqu’il en soit, j’ai la tête qui tourne et je manque d’air. Vivement que la conférence se termine.

C’est avec un énorme soulagement que j’entends la cloche de l’école sonner la fin du cours. Je rejoins Collègue Sanguinolent à l’avant, qui semble tout heureux de me voir. Ô joie!

Nous discutons quelques minutes, mais mon état ne s’améliore pas. Je réalise que c’est cette fichue gaine qui me serre le ventre et m’empêche de respirer. Je dois absolument l’enlever, surtout que mon compagnon parle maintenant d’aller luncher ensemble.

Je lui demande de m’attendre et je me rue à la salle de bains la plus proche. Je soulève ma robe et je tire de toutes mes forces sur mon attirail de malheur. Rien à faire, la gaine reste en place. Aux grands maux, les grands moyens. Je sors un ouvre-bouteille de mon sac à main et je découpe le tissus avec la petite lame dentelée.

Peu à peu, je recommence à respirer. Ouf! Tout à coup, je remarque des urinoirs à ma droite. Ne me dites pas que je suis dans la toilette des hommes! Je dois aller me cacher dans un cabinet avant de passer pour une folle finie. Mais je réagis quelques secondes trop tard. La porte s’ouvre sur Collègue Sanguinolent, qui me dévisage, l’air éberlué. Il la referme sans entrer et moi, je comprends que je peux oublier mon invitation à dîner.

 

 

Une conférence qui donne chaud!

-Écrire un roman policier demande avant tout de la rigueur.

Oh my God! Je l’écouterais parler pendant des heures. Même s’il fait une chaleur étouffante dans la salle. Même si je souffre le martyre parce que j’ai enfilé une gaine trop petite pour paraître plus mince sous ma robe bleue azur. Même si je suis en retard de je-ne-sais-plus-combien-de-pages dans la rédaction de mon roman.

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD