Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Aujourd’hui, c’est la remise du seul et unique prix littéraire que je peux remporter. Celui qui est attribué par les lecteurs dans le cadre du Salon du livre.

Les autres récompenses telles que : Grand Prix du livre, Concours de création littéraire, Médaille de l’Académie des lettres du Québec, ne me sont pas accessibles. Pourquoi? C’est bien simple! C’est justement parce que, moi, je fais de la littérature accessible. De la lecture pour le peuple, me dit-on parfois de façon méprisante.

Je ne serais pas étonnée que les jurés qui choisissent les vainqueurs ne connaissent même pas mes ouvrages, ni mon style. De la chick-lit? Quessé ça?

Mais quand c’est le public qui vote, ça change les données. J’espère tellement que ce sera moi. La dernière fois, c’est Collègue Chick qui a mérité cet honneur et a empoché quelques milliers de dollars, mais cette année, c’est MON tour. Pas question qu’elle me devance encore!

J’ai tout mis en œuvre pour décrocher ce prix. À commencer par une campagne d’autopromotion sur Facebook auprès de mes lecteurs… euh de mes lectrices, devrais-je préciser. J’ai sollicité leur aide en les implorant d’aller voter pour moi sur le site du Salon du livre. Pour les remercier, j’ai organisé des concours, faisant tirer des bouteilles de mousseux, des rouges à lèvres et des chocolats au piment d’Espelette.

 

Maman à la rescousse

J’ai appelé ma mère pour qu’elle me donne un coup de main. Je n’ai pas eu besoin de lui demander deux fois. Dans la journée même, tous les pensionnaires de la résidence pour personnes âgées où elle est bénévole ont voté pour moi. J’ai éprouvé un léger malaise à l’idée qu’aucun de ces participants n’avait lu mon roman, mais je l’ai vite chassé. Après tout, ce sont des adultes consentants. Personne ne leur a forcé la main.

Bon, d’accord, maman a joué le grand jeu en affirmant que j’avais absoooooooolument besoin de cette distinction pour que mon éditeur me commande un nouveau livre. Que sans ce prix, je me retrouverais sans contrat, encore plus pauvre et isolée. Ils n’ont pu résister.

Qu’elle est longue cette attente! Pourtant, l’annonceur a bien ouvert l’enveloppe, mais il reste muet. Il regarde son carton d’une air dérouté, avant de finalement s’approcher du micro.

-Pardon, nous n’avons pas la bonne enveloppe.

Quelle organisation broche à foin! Le présentateur ne réalise pas qu’ici, la moitié de la salle est sur les dents. Moi, tout d’abord, qui ne tient plus en place tellement je suis nerveuse. Collègue Chick, qui est aussi tendue qu’une corde de violons malgré le fait qu’elle est entourée d’une dizaine de fans venus l’encourager. De mon côté, je suis seule.

J’espère que ce n’est pas un signe annonciateur du résultat. Parce que si c’est encore elle qui gagne, je vous jure que je ne réponds plus de moi. Je lui fais la vie dure jusqu’à ce qu’elle abandonne sa carrière d’écrivaine et me laisse ainsi la première place. J’ignore encore comment je vais m’y prendre mais elle va pâtir…et pas qu’un peu!

 

Un plan machiavélique

D’ailleurs, que le lauréat soit ma compétitrice ou tout autre collègue, je me fais la promesse de l’écarter de mon chemin pour les années à venir. Harcèlement psychologique, campagne de salissage sur les médias sociaux, distribution de pots-de-vin aux blogueuses littéraires en échange d’une mauvaise critique de son livre …toutes les armes seront permises. Toutes.

Au micro, le présentateur nous informe avoir maintenant le bon document. Il recommence son petit manège pour faire l’annonce tant attendue.

-Et le gagnant est… Collègue Sanguinolent!

Hein? Ça ne peut pas être lui! Pas le mec à qui je rêve depuis des mois? Il ne peut pas me faire ça, à moi! Je le vois pourtant s’avancer vers l’estrade, son sourire irrésistible collé au visage. C’est là que tout mon plan tombe à l’eau. Comment voulez-vous que je me venge d’un gars aussi charmant? Et que je le fasse disparaître de mon univers?

Impossible! Je le veux dans mon environnement le plus souvent possible. Je soupire de découragement en songeant que même le prix du public, il ne sera jamais à moi…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remporter les honneurs, moi?

-Et le Prix du public 2014 est décerné à….

Faites que je gagne! Faites que je gagne! Faites que je gagne…. Pleaaaase!

 

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD