Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Je suis en train de lire le dernier roman de ma principale compétitrice, qui vient juste sortir en librairie. Horreur! Je découvre que son héroïne, tout comme la mienne, s’est mise dans le trouble lors d’une soirée au 281. Elle a tellement fait une folle d’elle en insistant auprès d’un beau danseur musclé pour qu’il finisse la nuit dans ses bras, que les patrons de l’établissement l’ont jetée à la porte.

La seule différence entre mon récit et celui de Collègue Chick, c’est que son personnage présente son numéro habillé en policier… et le mien en pompier.

J’arrête immédiatement ma lecture à la page…281. Est-ce un hasard ou si l’auteure a fait exprès pour que son épisode rocambolesque qui se déroule dans ce célèbre bar de la rue Sainte-Catherine, soit publié à cette page? Quoiqu’il en soit, c’est fort!

Je ne comprends pas comment nous avons pu écrire la même histoire sans en parler ensemble… À moins que nous ayons eu une conversation sur les danseurs nus lors de notre dernier salon du livre, il y a de cela plusieurs mois?

 

Adversaires et amies

Même si nous sommes des adversaires, j’aime beaucoup Collègue Chick. Quand on prend un verre toutes les deux, on ne s’arrête plus et on dérape parfois. Comme ce samedi soir de mars, où nous avons fermé le bar après avoir enfilé je-ne-sais-plus-combien de shooters sucrés qui m’ont donné mal au cœur et m’ont fait vomir dans le couloir de l’hôtel...La honte!

Je me souviens maintenant! C’est là qu’on a parlé de nos virées respectives dans les cabarets érotiques pour femmes. Faut croire que ça nous est resté dans la tête, chacune de notre côté.

Et qui est dans la merde jusqu’au cou aujourd’hui à cause de tout ça? C’est moi! On va m’accuser de plagiat, puisque mon roman n’est pas encore en vente. Il le sera dans quelques semaines seulement.

Le problème, c’est que mon manuscrit est parti chez l’imprimeur la semaine dernière. Je vais trop me faire lyncher sur la place publique. Je dois tenter quelque chose. Au désespoir, j’appelle mon éditeur, en espérant qu’il sera compréhensif pour une fois.

-Faut arrêter les presses! Ça presse!  lui dis-je, tout de go.

-Pouaaaaaaaaah! Est bonne celle-là.

J’ai beau essayer de le convaincre en lui expliquant la situation, il n’y a rien à faire. L’éditeur me parle d’argent perdu, de placement déjà planifié chez les libraires, d’échéancier à respecter, mais pas un mot pour apaiser mes angoisses de romancière.

 

Copieuse!

Je rétorque en lui mentionnant que nous nous exposons à de sérieuses poursuites judiciaires. J’imagine déjà Collègue Chick me faisant parvenir une mise en demeure, exigeant que je retire mes romans des tablettes des librairies. On bien faisant appel aux journaux pour dénoncer mon «attitude scandaleuse de copieuse qui n’est même pas capable d’avoir des idées par elle-même».

Le tout, bien entendu, agrémenté d’une requête en dommages moraux de quelques centaines de milliers de dollars.

-Bah! Tu t’en fais pour rien, Romancière. Des danseurs, y en a dans tous les romans de filles.

N’importe quoi! Et voilà qu’il raccroche sans plus de façon. Je suis finie, rien de moins. Plus personne n’acceptera de publier mes bouquins désormais.

Avant de céder complètement à la panique, je sors du tiroir le manuscrit de mon livre, déjà mis en page. Je m’en vais directement au chapitre 7, pour relire l’extrait qui traite du 281. On ne sait jamais, peut-être qu’il est plus différent que dans mon souvenir.

Mais plus j’avance et plus je suis terrorisée. Les histoires se ressemblent même dans certains petits détails, comme la couleur des escarpins de l’héroïne et les shooters sucrés qu’elle consomme. Ça, on sait d’où ça vient.

Le passage fait six pages. Je ne vois qu’une solution. J’appelle moi-même l’imprimeur pour l’informer que j’ai un collant à poser sur chacune des copies lorsqu’elles sortiront des presses. Il accepte de m’aviser dès qu’elles seront disponibles.

Je raccroche en soupirant de satisfaction. Mon plan va fonctionner! Une fois en tête à tête avec mes livres, j’ai l’intention d’arracher le chapitre 7 au complet dans chacun des exemplaires. Je préfère un roman endommagé à la fin d’une carrière prometteuse!

 

 

 

 

Plagiat et danseurs nus!

Ce n’est pas vrai! Collègue Chick a exactement la même intrigue que moi….Non, non, non, qu’est-ce que je vais faire?

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD