Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Voilà deux heures que je fais la «pitourne» dans mon lit. Pis tourne d’un bord, pis tourne de l’autre…angoissée comme je l’ai rarement été. Mais j’ai une bonne raison. C’est ce matin, précisément dans quatre minutes et 35 secondes, qu’une critique de mon dernier livre sera publiée sur le web.

Et pas n’importe quelle appréciation. Oh non! C’est celle de LA top blogueuse littéraire du Québec. Cette fille que tout le monde aime...et que tout le monde craint. Celle qui a le pouvoir de vie ou de mort sur les auteurs que nous sommes.

C’est fou comme ses opinions ont un impact sur les ventes de nos romans. Si Yanie-la-Terreur met son sceau d’approbation sur mon œuvre, je vais pousser un énooooorme soupir de soulagement. Par contre, si elle l’assassine, je vais me cacher dans mon placard avec mes dizaines de paires de chaussures, en pleurant mon arrêt de mort. Et aussi le fait que je ne pourrai plus jamais m’acheter des escarpins de marque.

Parce que les textes de la blogueuse n’influencent pas que les lecteurs. Les éditeurs sont eux aussi sensibles à ce qu’elle écrit. Une mauvaise critique de sa part et ils peuvent décider de ne plus publier aucun des ouvrages de cet écrivain.

 

Ventes de garage

C’est arrivé à une collègue, qui a dû se tourner vers l’édition à compte d’auteur, claquant d’un seul coup toutes ses économies. La pauvre n’a vendu que quelques exemplaires (surtout à sa famille) et elle a écoulé le reste dans des ventes de garage… à 50 cents la copie! Une aberration pour une romancière qui avait le vent dans les voiles.

De mon côté, j’ai été particulièrement chanceuse. La blogueuse n’a jamais descendu un de mes livres. Pas encore, du moins.

Bip! Bip! Bip!

L’heure fatidique a sonné, tel que me l’annonce l’alarme de mon téléphone. Fébrile, je consulte le site en question et je lis sa publication toute chaude en diagonale. C’est la catastrophe.

«histoire tirée par les cheveux…récit qui s’essouffle…personnages peu attachants...» Mais le pire, c’est quand elle avoue avoir eu de la difficulté à se rendre à la fin. Non, non, non! Je suis finie!

J’en veux à Yanie-la-Terreur. Comment peut-elle me faire ça à moi? J’en ai pourtant pris soin, de notre critique nationale. Je lui ai offert des cosmos,  je l’ai complimenté sur sa nouvelle robe même si elle avait l’air d’un popsicle trois couleurs et je me suis interdit de flirter avec son chum que je trouve pourtant adorable. Tout ça pour rien! Elle mériterait que je lui envoie un courriel de bêtises.

 

Ma Best à mon secours

Je sens un besoin urgent de partager ma peine avec ma Best. Qu’il soit 5h du matin ou pas. Je compose son numéro; elle me répond d’une voix ensommeillée et légèrement furieuse. Je lui fais part de la situation, lui annonçant du coup que bientôt, je ne pourrai plus payer mon loyer et qu’elle devra m’héberger.

-Wô les moteurs! Tu dramatises encore.

-Non, pas cette fois-ci! Va lire la critique.

Ma Best s’exécute à contrecœur. Je m’explique mal pourquoi elle manque de sympathie à mon égard. C’est moi la victime. D’accord, c’est vrai que j’utilise souvent ce mot et pas toujours à juste titre, mais aujourd’hui, il est très à propos.

J’attends en pestant contre mon idée d’être allée chez l’esthéticienne hier. Elle m’a fait une manucure Shellac, laquelle m’empêche d’évacuer mes peurs en me rongeant les ongles. Au moins, ça me calmerait un peu.

J’entends ma Best soupirer d’impatience au bout de la ligne. Elle me demande ensuite si j’ai lu billet de gauche ou de droite. Hein? C’est quoi cette histoire?

Un doute se soulève dans ma tête et je retourne sur le site. Oups… le texte assassin ne concerne pas mon bouquin, mais celui d’une collègue, comme le mentionne le titre qui m’avait échappé. Le mien, à gauche, m’enlève du coup toutes mes angoisses. La blogueuse qualifie mon roman de pure merveille. Wow!

Je retourne à ma Best, qui me traite de tête de linotte. Mais plus rien ne m’atteint. Yanie-la-Terreur a adoré mon livre; je peux maintenant recommencer à respirer normalement. Jusqu’à la prochaine critique…

Critique assassine!

4h55. C’est l’heure qu’indique mon cellulaire, sur lequel j’ai les yeux rivés depuis un bon moment, dans le noir de ma chambre. Dans cinq minutes, je vais savoir si j’ai encore un avenir en tant que romancière.

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD