Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

Mon proprio ne m’a jamais demandé la permission avant de m’envoyer ses hommes qui, entre vous et moi, ressemblent à de véritables fiers-à-bras. Il n’a jamais tenu compte du fait que mon appart, c’est aussi mon bureau. Et que j’y travaille du lundi au vendredi, entre 8h et 18h, ainsi que plusieurs samedis matins. Il se fiche complètement que je perde trois jours de travail. Lui, il ne vit pas dans le triplex, mais plutôt dans sa grosse cabane de Laval.

-Pis, le ciment?

-Eille! Lâchez-moi avec votre ciment.

Non seulement les travailleurs ont fait un bordel épouvantable chez-moi, mais ils ne cessent de me poser des question auxquelles je n’ai pas de réponse. Comme cette histoire de ciment. Plus tôt, ils m’ont demandé de choisir entre telle ou telle vis…non mais on s’en fout! Faites votre job et laissez-moi tranquille.

D’autant plus qu’ils m’ont chassée de mon bureau pour ouvrir des murs, à la recherche de traces qu’un dégât d’eau aurait laissé. Dégât dont je n’ai jamais eu connaissance mais qui est survenu dans le logement au-dessus, semble-t-il. J’ai donc dû installer ma table de travail en plein milieu de la cuisine, où comble de malheur, ils ont aussi commencé à faire des travaux de plomberie.

 

Geek en fugue

Et comme si tout ça n’était pas suffisant. Mon chat a réclamé la porte avant-hier et il n’est jamais revenu, trop terrorisé par le vacarme causé par les travaux. S’il faut que je ne retrouve pas Geek, fiers-à-bras ou pas, ils ne sont pas mieux que morts.

-Ma p’tite madame, faut pas vous fâcher!

Ça va faire les «ma p’tite madame»! Ça fait au moins dix fois que je leur dis de ne pas m’appeler comme ça! Ils me cherchent ou quoi? À nouveau, je les avise que j’écris un roman et que je ne dois pas être dérangée. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, je m’en fiche royalement!

Les deux costauds quittent la pièce, non sans m’avoir jeté un regard qui en dit long sur le manque de respect qu’il porte à ce que je fais dans la vie. Encore d’autres qui pensent qu’on est des «pelleteux» de nuage, nous les écrivains. Eh misère…

Il aurait été beaucoup simple d’aller travailler dans un café, mais je n’ose pas les laisser seuls dans mes affaires. Ces gars-là ne m’inspirent pas confiance.

 

Un fantasme trop évident

Bon, reconcentrons-nous sur ce passage, au cours duquel mon héroïne saute en parachute avec un bel instructeur, également vedette du petit écran. Humm…est-ce que ce personnage ressemble trop à Guillaume Lemay-Thivierge?

À vrai dire, c’est lui mon inspiration mais ce n’est pas nécessaire que tout le monde le sache. Je change sa description, le faisant passer de «beau brun au regard noisette», à «séduisant blond aux yeux couleur ciel». Plutôt que vedette de la télé, je le fais évoluer dans le milieu de… certainement pas celui de la construction! Il devient plutôt pompier à temps partiel. Ça, c’est gagnant. Voilà! Plus rien pour trahir mon fantasme…

-On a fini, m’annonce un des deux travailleurs.

Quel soulagement! Je me dirige à l’arrière de l’appartement, histoire de vérifier s’ils ont laissé mon bureau en ordre. Mais c’est toute une surprise qui m’attend. Une mauvaise surprise!

Le mur entre l’endroit où je travaille et ma chambre a été abattu, pour faire une seule grande pièce. Hein? Je n’ai jamais autorisé de tels travaux! Furieuse, j’exige que les ouvriers rebâtissent la cloison. Pas question que je travaille dans ma chambre; j’ai besoin d’un endroit fermé pour écrire.

-On a juste voulu vous faire plaisir, ma p’tite madame.

Grrr…J’enrage! Pourquoi diable ont-ils pensé que ça me comblerait? Je leur demande des explications. Selon eux, j’aurais dit : «j’aime les grands espaces». Pardon! Je ne leur ai jamais rien confié de la sorte.

-Vous parliez toute seule. On a voulu vous faire une surprise.

Me parler toute seule? Oh non! Je comprends maintenant; je lisais mon roman à voix haute. C’est mon héroïne qui aime les grands espaces, et elle parlait de nature et non de grandeurs de pièces. Quels imbéciles! Et les voilà qu’ils quittent mon logement, me laissant dans la poussière, sans minou et avec une pièce double que je n’ai jamais réclamée…

Rénos et roman font mauvais ménage!

-Vous avez du ciment à joint?

 

QUOI! J’ai-tu l’air d’une fille qui a du ciment à joint dans ses armoires? Depuis trois jours, deux ouvriers sont dans mon appartement pour faire des rénovations dites «essentielles» par mon propriétaire. Je n’en peux tout simplement plus!

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD