Nathalie

Roy

Romancière, Nathalie Roy a écrit la populaire série La vie épicée de Charlotte Lavigne, publiée chez Libre Expression et La vie sucrée de Juliette Gagnon

-Pis? As-tu lu mon livre?

Bon, encore une collègue qui croit que je n’ai que ça à faire, lire les romans des autres. Non mais c’est un fléau par les temps qui courent!

 

C’est vrai que j’aime bien encourager mes amis auteurs. À chaque salon du livre, j’achète deux ou trois bouquins québécois. Afin de ne pas faire de jaloux, je les choisis soigneusement, évitant à tout prix de soutenir le même écrivain à deux reprises.

Je me retrouve ainsi avec les premiers tomes de dizaine de séries, mais sans jamais avoir ceux qui suivent. Au moins, je les achète. Quant à les lire, c’est une autre histoire… qui doit être ignoré de tous.

-Oui, oui, je l’ai commencé.

J’observe attentivement la jeune femme qui se tient devant moi, dans l’allée bondée du Salon du livre auquel nous participons. Je la connais, c’est évident. Mais de là à dire que je sais ce qu’elle écrit, il y a une marge. Je sens que bientôt, je vais être mal prise. Elle va me poser LA fameuse question… à savoir si j’ai aimé son œuvre.

Allez, la romancière, fouille dans tes méninges. C’est qui cette adorable écrivaine au regard bleu comme le ciel, qui ressemble presqu’à une enfant? Mais oui! C’est une auteure jeunesse!

Ce n’est pas une bonne nouvelle. Au contraire. Oui, j’ai une véritable admiration pour ceux qui inventent des histoires de fées, de dragons, de chevaliers et de princesses. Mais je n’ai jamais ouvert aucun des petits albums que je leur ai achetés. Je m’en suis même départie, jugeant qu’ils seraient plus utiles dans la bibliothèque de l’école primaire de mon quartier.

 

Une hache pas romantique

En fait, il n’y a que les polars de Collègue Sanguinolent que je lis d’un bout à l’autre avec attention. Non pas parce qu’ils m’intéressent. Même que parfois, ils me terrifient. Mais je me force à les terminer, question d’avoir un sujet de conversation avec l’homme que j’espère toujours séduire malgré son statut de nouveau papa. Faire un brin de causette autour d’une histoire de meurtre à la hache, ce n’est peut-être pas très romantique, mais ça me permet au moins de le regarder dans les yeux.

Mais revenons à Collègue Jeunesse, qui trépigne d’impatience à l’idée que je lui en dise plus sur son travail. Je dois trouver une piste pour la satisfaire. N’importe laquelle.

En y pensant bien, tous les livres pour enfants se ressemblent, n’est-ce pas? Je n’ai qu’à dire des généralités. Je vais parler de découvertes magiques, d’univers tendre et réconfortant, de trésors cachés, d’animaux sympathiques, etc...

Sans oublier bien entendu de lui mentionner que ses objectifs pédagogiques ont été atteints. Excellent plan! Je me lance.

Plus elle m’écoute, plus mon interlocutrice semble confuse. Surtout quand je lui confie à quel point j’ai été émerveillée par son histoire toute mignonne, en ajoutant que ses lecteurs ont certainement fait un pas dans l’apprentissage du langage.

-Hein? Tu veux dire du langage du corps?

De quoi parle-t-elle? Possiblement d’une comptine à la Passe-Partout : «j’ai deux yeux, tant mieux. Deux oreilles, c’est pareil».

-Oui, oui, c’est ça.

 

Auteure provocatrice

Mon manque de conviction n’échappe pas à ma copine, qui m’interroge sur mon passage préféré. J’ai la fâcheuse impression qu’elle fait exprès de me défier et j’avoue que ça m’étonne. Une auteure jeunesse, c’est forcément une bonne personne, quelqu’un de tout doux, tout miel. Pas une provocatrice! Mais bon, répondons quelque chose de simple.

-La fin, tellement… enveloppante.

Elle me regarde avec un sourire machiavélique, s’éloigne vers un kiosque et en revient avec un livre rouge, qui fait partie d’une collection que je connais puisque j’ai assisté à son lancement le mois dernier. Ah non! Je suis dix fois plus dans le trouble que je le pensais.

-Une fille qui se tue parce qu’elle n’est plus capable de tolérer un orgasme qui dure depuis cinq heures; c’est ce que tu appelles une fin enveloppante?

Ma collègue me met son roman…érotique dans les mains.

-Soit que tu l’as pas lu. Soit que ça va vraiment pas bien dans ta tête. Choisis!

Sur ces paroles menaçantes, elle me quitte sans me laisser le temps de déterminer si je préfère passer pour une menteuse ou pour une folle finie. Et moi, je me dis que le prochain livre que je me procure, je le lis de A à Z!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ILLUSTRATION JOHANNA REYNAUD

Une auteur en mal de reconnaissance!