20 ANS APRÈS LE RÊVE BRISÉ

Alou sera, bien entendu, de la fête ce week-end au Stade olympique alors qu’on rendra hommage aux membres de cette équipe de 1994 qui n’a pas eu la chance d’aller jusqu’au bout de ses ambitions en raison de la grève qui a mis fin abruptement à la saison, le 12 août.

Le Journal de Montréal a pu s’entretenir longuement avec le meilleur gérant dans l’histoire des Expos alors que Felipe était en visite chez sa belle-famille dans le quartier Saint-François à Laval, où il a d’ailleurs vécu durant 11 ans.

Adjoint au directeur général des Giants de San Francisco depuis 2003, veillant sur le développement des jeunes joueurs, Felipe est volubile et émotif lorsqu’on lui demande de nous parler des Expos.

Malgré ses 78 ans bien sonnés, Alou est en forme, svelte comme toujours.

«On a tendance à l’oublier, mais on avait une équipe aussi puissante et explosive en 1993, alors qu’on avait remporté 30 de nos 39 derniers matchs pour terminer la saison avec une fiche de 94-68, à trois matchs seulement des champions, les Phillies», rappelle Felipe.

Le meilleur groupe qu’il a dirigé

Il a dirigé d’excellentes formations au cours de sa carrière de gérant, dont quelques-unes à San Francisco, menant notamment les Giants vers une participation à la série de championnat en 2003.

Alou a mérité le titre de gérant de l’année une seule fois dans sa carrière, et c’était en 1994.

«Il s’agit du meilleur groupe de joueurs que j’ai eu la chance de diriger, affirme-t-il aujourd’hui. Même si j’ai eu Barry Bonds sous ma férule à San Francisco, l’édition 1994 des Expos était plus talentueuse que celle des Giants sur le plan collectif.

«Nos jeunes joueurs ne cessaient de s’améliorer tout au long de la saison. C’était beau de les voir progresser de semaine en semaine. Ils aimaient se retrouver ensemble. Ces jeunes, je les connaissais très bien puisque plusieurs d’entre eux avaient joué sous mes ordres dans les ligues mineures ou encore, dans les ligues d’hiver.»

Séquence de 20 victoires en 23 matchs !

Après avoir connu un lent début de saison en 1994, les Expos avaient littéralement le vent dans les voiles une fois l’été venu.

Pensez-y un peu: ils ont conservé une fiche exceptionnelle de 20 victoires et de trois revers entre le 18 juillet et le 11 août!

«C’était une belle équipe. Elle était jeune, fougueuse, avec du talent à toutes les positions, analyse Felipe. On misait sur un excellent personnel de lanceurs partants avec les Ken Hill, Pedro Martinez, Jeff Fassero, Butch Henry et Kirk Rueter. Les officiels m’ont déjà dit qu’ils aimaient travailler pendant nos matchs, surtout quand Rueter lançait, parce qu’il ne perdait pas de temps au monticule…

«On comptait sur des releveurs de premier plan en John Wetteland, Mel Rojas, Jeff Shaw (qui est devenu par la suite un as releveur avec les Dodgers). On était fort solides défensivement et l’attaque était très bien équilibrée, avec un bon mélange de puissance et de vitesse.

Le meilleur trio de voltigeurs

«Plusieurs analystes étaient d’avis que les Expos misaient sur le meilleur trio de voltigeurs du baseball en Larry Walker, Marquis Grissom et mon fils Moises, continue Alou. L’équipe était à ce point talentueuse qu’il était difficile pour moi d’utiliser les services d’un jeune comme Rondell White.

«Marquis avait le don de réaliser des jeux spectaculaires, comme ce circuit à l’intérieur du terrain qu’il avait réussi en 10e manche et ce vol du marbre sur une tentative d’amorti-suicide ratée.»

Les Expos étaient tout aussi talentueux à l’avant-champ.

«Notre joueur d’arrêt-court, Wil Cordero, était un dangereux frappeur en fin de match, souligne Alou. Peu d’équipes pouvaient se vanter de miser sur un sixième ou septième frappeur comme lui.

«Darrin Fletcher faisait de l’excellent travail derrière le marbre. Il dirigeait bien nos lanceurs et il était capable de frapper la longue balle. Sean Berry, notre joueur de troisième but, avait eu une bonne saison. Je connaissais son potentiel, rappelle Alou. Je l’avais recommandé aux Expos après l’avoir vu à l’œuvre au niveau AAA.

«Mike Lansing était un solide joueur de deuxième but. Il jouait de façon très combative. J’avais fait sa connaissance dans une ligue indépendante en Floride, et les Expos n’avaient eu à débourser que 40 000 $ pour acquérir ses services. Enfin, Cliff Floyd se tirait très bien d’affaire au premier coussin.»

L’aveu de Tom Glavine…

Alou croit que les Expos auraient pu se rendre jusqu’au bout en 1994 et ainsi faire vivre une première Série mondiale aux amateurs de baseball du Québec.

«L’as lanceur des Braves, Tom Glavine, m’avait avoué que  rien ne pouvait arrêter les Expos. Il m’avait fait cette confidence lorsque je l’avais croisé au stade municipal de West Palm Beach, où j’étais allé chercher mes affaires personnelles après le déclenchement de la grève. Nos joueurs avaient confiance en leurs moyens. Ils se disaient qu’ils pouvaient battre n’importe quel adversaire.»

(On remercie Martine Peters

de sa collaboration dans le cadre

de cette entrevue)

LA SAISON INACHEVÉE

Felipe Alou dirigeait d’une main de fer, mais dans un gant de velours, cette dominante équipe des Expos en 1994. Il était le leader, le père spirituel de la talentueuse formation qui avait élaboré une fiche de 74 victoires et 40 défaites au cours de cette saison inachevée.

Pierre
Arsenault Claude
Brochu Felipe
Alou

« Il s’agit du meilleur groupe de joueurs que j’ai eu la chance de diriger »

«À mon avis, les amateurs de baseball du Québec auraient pu encourager une très bonne équipe pour une période de cinq à dix ans, n’eût été cette satanée grève qui nous a fait perdre les services de plusieurs joueurs», déclare Felipe.

«J’ai deux bagues de la Série mondiale gagnées dans mon rôle d’adjoint au directeur général des Giants de San Francisco, mais c’est avec les Expos que j’aurais aimé en remporter une, plus que toute autre chose.»

La perte de Larry Walker

Felipe a toujours été un homme respectueux, et fidèle à ses employeurs. Sauf qu’il n’a jamais digéré les départs de ces joueurs vedettes.

«J’ai su que le baseball allait mourir à Montréal le jour où on a laissé partir un joueur étoile comme Larry Walker, un Canadien par-dessus le marché, sans rien obtenir en retour, confie-t-il. On ne pouvait pas se permettre ça. C’était un très dur coup à encaisser pour nos partisans.

«Je sais que ce n’est pas moi qui signais les chèques. Mais on n’avait même pas fait une offre de contrat sérieuse à Walker et on a l’a perdu pour rien. Puis, on a cédé Wetteland aux Yankees, Grissom aux Braves et Hill aux Cardinals. Ces joueurs auraient tous voulu rester à Montréal.

«Ce fut très difficile à vivre pour moi et pour tous les partisans des Expos que de voir ces joueurs étoiles connaître beaucoup de succès ailleurs.»

Tourner le fer dans la plaie

Grissom a participé à trois Séries mondiales d’affilée avec les Braves (1995 et 1996) et les Indians (1997).

Hill a pris part à la Série mondiale avec les Indians en 1995. Walker a participé à la Série mondiale avec les Cardinals en 2004, Wetteland avec les Yankees en 1997 et Alou avec les Marlins en 1997. À chaque fois, ça tournait le fer dans la plaie des partisans des Expos.

Des athlètes d'exeption au caractère particulier

Alou était un «fan» de Walker, l’athlète.

«Je l’avais dirigé dans les ligues mineures. Il pouvait jouer à toutes les positions. C’était un grand voltigeur. On a souvent reproché à Walker de ne pas collaborer avec les médias.

«Mais les plus grands athlètes sont souvent des êtres à part, avec des tempéraments particuliers, comme Barry Bonds l’était.

«Il faut savoir comment s’y prendre pour les approcher. J’ai croisé Walker récemment dans un restaurant de West Palm Beach et il tremblait tellement il était heureux qu’on se retrouve.»

Son fils Moises avait su lui forcer la main

Bien entendu, Felipe est fier de la brillante carrière qu’a connue son fils Moises, carrière qui a pris son envol à Montréal.

«Il a eu une longue et belle carrière, malgré les sérieuses blessures qu’il a subies. Jim Leyland a brièvement dirigé Moises avec les Pirates et il m’avait dit que mon fils allait devenir un excellent joueur dans les majeures.

«J’étais instructeur avec les Expos lorsque Moises s’est amené à Montréal», rappelle Felipe.

«Il ne jouait pas beaucoup en raison d’un malaise à une épaule. Lorsqu’on m’a nommé au poste de gérant, Moises a gardé le même statut.

«Un jour, il est entré dans mon bureau et il m’a demandé: pourquoi ne me donnes-tu pas la chance de jouer régulièrement? Il m’a livré un message clair et le match suivant, il était de la formation partante. Disons qu’on ne l’a jamais regretté…»

LA VENTE DE FEU CRÈVE-CŒUR

Felipe Alou ne cache pas sa tristesse lorsqu’on le questionne sur la «vente de feu» commandée par Claude Brochu avant le début de la saison 1995, alors que les quatre plus gros salariés de l’équipe, Larry Walker (4 millions de dollars), Marquis Grissom (3,5 M$), Ken Hill (2,6 M$) et John Wetteland (2,6 M$) ont été forcés de quitter Montréal.

« J’ai su
que les Expos allaient

mourir le jour où on a laissé partir Walker sans rien

obtenir
en retour »

Pierre
Arsenault Claude
Brochu Felipe
Alou
DE L’EXTASE
Felipe
Alou Claude
Brochu Pierre
Arsenault

La saison 1994 est à jamais gravée dans la mémoire de Felipe Alou parce qu’il est passé par toute la gamme des émotions cette année-là.

«On a vécu l’extase et le désenchantement en l’espace de quelques mois, raconte Felipe. L’annulation de la saison m’a brisé le cœur.

«J’étais un employé loyal envers la compagnie. Je connaissais la situation difficile des Expos, ajoute celui qui fut le premier Dominicain à obtenir un poste de gérant dans les ligues majeures. Je persiste à croire que si on avait atteint la Série mondiale en 1994, on aurait pu vivre plusieurs belles années à Montréal et il aurait été plus facile de convaincre le gouvernement provincial de supporter la construction d’un stade de baseball.

«Le baseball entrait, au milieu des années 1990 dans une nouvelle ère de développement de sources de revenus. Les Expos auraient récolté plus d’argent et le projet de construction d’un stade aurait pu fonctionner.

«Je vous rappellerai que les Giants ont failli quitter San Francisco eux aussi. Il fallait déménager du vieux Candlestick Park, et des entreprises privées ont sauvé la concession en investissant dans le AT&T Park, qui a ouvert ses portes en 2000.

«Cela a grandement aidé la situation financière des Giants, qui ont gagné deux fois la Série mondiale par la suite. Montréal est la seule ville à ne pas avoir construit un véritable stade de baseball.»

Un rêve réalisable ?

Felipe Alou se tient informé du dossier mené par Warren Cromartie, qui espère convaincre des investisseurs québécois dans le but de ramener une concession du baseball majeur à Montréal, dans un stade au centre-ville.

«C’est sûr que j’aimerais voir ça, dit-il. Montréal a déjà été considérée comme une excellente ville de baseball. Mais pour que le souhait de Cromartie se réalise, il faudra une volonté ferme des gouvernements afin d’aider à la construction d’un stade au centre-ville. C’est le seul espoir.»

Felipe est demeuré fort attaché au Québec, même s’il réside en Floride. Son épouse, Lucie Gagnon, vient souvent voir sa famille à Laval. Le couple a deux enfants. Valérie est âgée de 26 ans et elle est avocate. Felipe fils a 21 ans et il étudie la musique à Londres.

Felipe Alou aime bien revenir faire son p’tit tour à Laval. C’était un homme populaire parmi ses voisins lors des belles années des Expos.

Lorsque Jeffrey Loria l’a congédié en mai 2001, Felipe avait grandement aimé que des amateurs de baseball viennent protester devant sa demeure.

«Les Québécois sont des gens attachants», dit souvent Felipe, qui garde de très bons souvenirs de ses nombreuses parties de pêche en compagnie de Jacques Doucet et de Réal Massé.

AU DÉSENCHANTEMENT

La saison 1994 est à jamais gravée dans la mémoire de Felipe Alou parce qu’il est passé par toute la gamme des émotions cette année-là.

CLAUDE BROCHU
Felipe
Alou Claude
Brochu Pierre
Arsenault

Les partisans (et les journalistes…) auraient bien aimé que Claude Brochu se montre plus patient et qu’il trouve une façon de garder à Montréal le noyau de joueurs vedettes en 1995.

Cette «vente de feu» a eu pour effet d’amorcer la lente agonie de la concession, qui a finalement dû déménager à Washington après la saison 2004.

Un intéressant bouquin a d’ailleurs été écrit à ce sujet par Danny Gallagher et Bill Young, intitulé Ecstasy to Agony, the 1994 Montreal Expos.

Des sentiments opposés

Aujourd’hui âgé de 69 ans, Brochu a bien voulu ressasser avec nous les enivrants mais aussi les douloureux souvenirs de cette saison 1994.

L’ancien président et copropriétaire des Expos nous a accueillis pour l’entrevue à son bureau à Laval, lui qui est chef de la direction de Nuera Air Inc, qui regroupe trois compagnies de pièces de remorque, de courroies et d’aspirateurs.

«L’année 1994 a été extraordinaire et désastreuse en même temps, dit-il. Le conflit de travail a causé des torts énormes aux Expos, notamment au chapitre de la vente des abonnements.

«Il a toutefois permis au baseball majeur de crever l’abcès. On a pu retrouver la paix syndicale et le baseball a ensuite pu vivre une période de renaissance. Le partage des revenus a sauvé le sport. Les deux parties ont souffert de ce conflit, qui était devenu inévitable. Dommage que les Expos en soient sortis comme étant les plus grands perdants.»

Des pertes estimées à 14 millions

Brochu confie que la masse salariale de l’équipe serait passée de 19 à 30 millions de dollars en 1995 si tous les joueurs vedettes des Expos étaient restés à Montréal.

«Cela aurait été énorme comme bond. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, explique-t-il. On ne pouvait pas compter sur les mêmes revenus de télévision que ceux qui sont disponibles pour les équipes en 2014. La télédiffusion de nos rencontres ne rapportait que 15 000 $ par match à TSN et 30 000 $ à RDS. Des “pinottes” en comparaison avec les revenus qui sont engendrés de nos jours.»

Brochu estime qu’à cause de la grève, les Expos ont subi des pertes de 14 millions en 1994.

«Il y a eu l’annulation de nos 29 derniers matchs locaux, sans oublier tous ces millions qu’on aurait dû normalement encaisser en droits de télévision durant les matchs des séries de fin de saison», raconte-t-il.

«Il a donc fallu réduire notre masse salariale en 1995 au lieu de l’augmenter. Elle a dégringolé de 19 à 14 millions et on a dû se résigner à laisser partir nos plus gros salariés, soit Larry Walker, Marquis Grissom, Ken Hill et John Wetteland. Cette “vente de feu” a grandement déplu à notre public. Les amateurs m’en voulaient beaucoup. Ils étaient émotifs. Mais on n’avait pas le choix.»

Brochu a appris par la suite que certains joueurs clés étaient prêts à garder les mêmes salaires en 1995 afin que le noyau de l’équipe demeure intact.

L’œuvre de Dan Duquette

«Dan Duquette avait vraiment bâti une très belle équipe avant de nous quitter pour aller diriger les Red Sox, raconte Brochu. Dan a réalisé un coup de maître en échangeant Delino DeShields aux Dodgers pour les services d’un jeune lanceur, Pedro Martinez, qui a su faire oublier un autre Martinez (Dennis) qui était fort populaire à Montréal.

«On s’était fait critiquer pour cette transaction, mais Dan Duquette avait vu juste. Peter Gammons a déjà écrit que cet échange DeShields-Martinez a été le quatrième meilleur dans toute l’histoire du baseball !»

Claude Brochu est devenu l’un des propriétaires des Expos lorsque Charles Bronfman, qui n’acceptait pas d’assister à la flambée des salaires au baseball, a pris la décision de vendre l’équipe en 1989.

Felipe
Alou Claude
Brochu Pierre
Arsenault

Ayant remplacé John McHale comme président en 1986, Brochu  s’est retrouvé avec le lourd mandat de dénicher un nouveau propriétaire pour l’équipe.

Finalement, un consortium de 14 hommes d’affaires, en majorité des Québécois,  a été formé pour prendre la relève de Bronfman. La nouvelle a été annoncée le 14 juin 1991. Cette société en commandite, dont l’influent Jacques Ménard faisait partie, a versé 100 millions de dollars à Bronfman pour devenir propriétaire des Expos, et c’est Brochu qui a hérité du titre de «commandité».

La bisbille s’est toutefois installée au sein du groupe, et Brochu a décidé, en 1999, de vendre ses parts à Jeffrey Loria. On connaît la suite…

«L’agonie des Expos a été pénible pour tout le monde, confie Brochu aujourd’hui. Il y avait de la dissension parmi le groupe de propriétaires. On me reprochait de ne pas les consulter, mais c’était mon rôle de diriger les opérations.

«Après tout, j’étais celui qui représentait les Expos au sein du groupe de propriétaires. Jacques Ménard et moi avons eu un gros différend.

«Le gouvernement fédéral a ensuite débarqué de l’aventure, et tout s’est écroulé. Les autres actionnaires ont décidé de se débarrasser de moi et j’ai vendu mes actions à Loria en 1999 tellement j’en avais marre de la situation.»

Bouchard refusait de l’aider

Brochu en a beaucoup voulu à l’ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard.

«J’avais une entente avec Bernard Landry pour la construction du stade, rappelle-t-il. Lucien Bouchard n’a cependant jamais compris la situation et il s’est fait dire par les autres actionnaires d’oublier mon plan.

«Le maire Jean Doré avait prêté 15 millions pour l’achat du club, mais Pierre Bourque, lui, ne s’intéressait pas au baseball. Sans l’appui des divers gouvernements, le dossier était condamné à l’échec.

«Les critiques de la part des éditorialistes montréalais sont alors devenues virulentes au point qu’un climat de négativisme s’est installé, et les Expos ont perdu l’appui du milieu des affaires.

«Le Stade olympique ne convenait plus à nos besoins dans les années 1990, ajoute Brochu. Il fallait investir 300 millions de dollars pour construire un nouveau stade au centre-ville. Si on avait pu mener à terme ce projet du stade Labatt, les Expos seraient encore à Montréal. Je n’en ai pas le moindre doute.»

ARSENAULT
S’ENNUIE
DES EXPOS

Denis Boucher n’était pas le seul Québécois à avoir fait partie de l’édition 1994 des Expos.

Felipe
Alou Claude
Brochu Pierre
Arsenault

Il y avait aussi Pierre Arsenault qui a travaillé dans l’enclos des releveurs des Expos durant 15 ans, soit de 1988 à 2002, agissant à titre de receveur et de coordonnateur pour l’échauffement des lanceurs.

Il s’est ensuite retrouvé dans les mêmes fonctions avec les Marlins de la Floride, ce qui lui a permis de vivre une conquête de la Série mondiale en 2003. Il a reçu une grosse bague en guise de souvenir.

Ce résident de Pierrefonds, qui travaille à titre de dépisteur pour les Marlins, parle avec nostalgie du groupe de releveurs qui représentait l’un des points forts des Expos il y a 20 ans, avec les John Wetteland, Mel Rojas, Tim Scott, Jeff Shaw et Gil Heredia.

Des releveurs exceptionnels

«Bien sûr, j’étais là pour les aider à bien se préparer à effectuer leur entrée dans le match, mais j’étais aussi une sorte de confident pour eux, explique Arsenault, qui est âgé de 50 ans. J’étais le lien entre Joe Kerrigan, l’instructeur des lanceurs, et les releveurs.

«Les gars avaient confiance en leurs moyens. Ils disaient à leurs coéquipiers: donnez-nous une avance en sixième manche et on va s’occuper du reste. Chaque gars comprenait et acceptait son rôle.

«C’était un groupe de releveurs hors du commun. Les Expos auraient probablement pu se rendre jusqu’à la Série mondiale cette année-là.»

Une grève qui n’était censée durer
que deux semaines…

Arsenault n’oubliera jamais l’ambiance qui régnait dans le vestiaire lors du dernier match, le 11 août.

«Darrin Fletcher, un représentant syndical, m’avait dit: on va se revoir dans deux semaines, mon cher Pierre. Il ne pensait jamais que la saison allait être annulée. Les gars ne voulaient pas que ça s’arrête. Ils avaient tellement de plaisir à gagner des matchs.»

Arsenault a une autre bonne raison de se rappeler cette saison 1994.

«J’ai épousé ma conjointe Loni en novembre 1994, dit-il. Si les Expos avaient gagné la Série mondiale, j’aurais touché un boni dans les six chiffres et ç’aurait été bien utile pour se payer un plus beau voyage de noces! J’aurais aussi pris une plus petite hypothèque sur ma maison à Pierrefonds...»

Les joueurs de remplacement

Arsenault avait trouvé fort difficile le camp d’entraînement suivant, alors que des joueurs de remplacement s’étaient présentés sur les terrains en Floride et en Arizona.

«Ce fut le pire camp de ma vie. Felipe Alou ne voulait pas trop s’impliquer avec ces joueurs de remplacement. Puis, le conflit s’est réglé tardivement, et quand la saison a débuté, quatre de nos joueurs vedettes avaient quitté l’équipe. Je comprenais fort bien nos partisans d’être grandement frustrés par cette “vente de feu”.»

Il a souvent été pointé du doigt pour le départ des Expos. Il a été identifié comme le principal responsable de cette «vente de feu» qui a démantelé l’équipe électrisante de 1994.

LE BON ET LE MAUVAIS CHEZ LES PROPRIOS BISBILLE ET
DISSENSION
SALAIRES DES JOUEURS
DES EXPOS EN 1994

Larry Walker.............4,025 M$

Marquis Grissom.............3,575 M$

Ken Hill.............2,615 M$

John Wetteland.............2,225 M$

Moises Alou.............1,415 M$

Mel Rojas.............850 000 $

Darrin Fletcher.............615 000 $

Randy Milligan.............600 000 $

Jeff Fassero.............315 000 $

Sean Berry.............200 000 $

Wil Cordero.............200 000 $

Mike Lansing.............200 000 $

Pedro Martinez.............200 000 $

Freddie Benavides.............195 000 $

Lenny Webster.............180 000 $

Jeff Shaw.............172 500 $

Tim Scott.............165 000 $

Lou Frazier.............140 000 $

Denis Boucher.............135 000 $

Gil Heredia.............135 000 $

Tim Spehr.............132 000 $

Butch Henry.............130 000 $

Kirk Rueter.............130 000 $

Rondell White.............112 000 $

Cliff Floyd.............109 500 $

Joey Eischen.............109 000 $

Jeff Gardner.............109 000 $

Heath Haynes.............109 000 $

R. Henderson.............109 000 $

Brian Looney.............109 000 $

Gabe White.............109 000 $

Sources : Baseball-Amanac.com

Si la date du 12 août 1994, jour du déclenchement de la grève, est ancrée dans la mémoire des amateurs de baseball du Québec, Claude Brochu se souvient surtout du 14 septembre de la même année, qui fut la journée la plus noire dans l’histoire de ce sport.

«Lorsque Bud Selig a annoncé l’annulation de ce qui restait comme matchs au calendrier régulier, ainsi que des séries d’après-saison, ce fut le pire jour de ma vie, affirme Brochu. J’avais la mort dans l’âme en apprenant la nouvelle.

«Je croyais sincèrement que ce conflit de travail n’allait pas durer plus de deux semaines, que l’Association des joueurs finirait par s’entendre avec les propriétaires pour mettre fin à la grève. Le beau rêve des Expos de participer à une première Série mondiale a pris fin de façon abrupte et amère.»

8000 abonnements seulement

Les Expos ne comptaient que 8000 détenteurs d’abonnements en 1994.

«Je crois que si l’équipe avait participé à la série de championnat et à la Série mondiale, cela aurait créé un tel engouement qu’on aurait pu doubler nos ventes d’abonnements et de loges corporatives», explique Brochu.

«On se dirigeait vers une assistance globale de deux millions de spectateurs au Stade olympique en 1994. Après un deuil de 10 ans, on réalise davantage aujourd’hui ce que Montréal a perdu. Cette concession de baseball représentait tout un atout pour Montréal.»

Brochu souhaite bonne chance à Warren Cromartie, qui se débat dans l’espoir de ramener une équipe de baseball majeur à Montréal. Il trouve cependant que les projections faites dans le cadre de l’étude de faisabilité du groupe Projet Baseball Montréal sont trop optimistes.

Il s’attendait à une grève… de deux semaines !
Quelques
mots sur...

JOHN WETTELAND : «C’était le meneur du groupe, avance Arsenault. Un jeune releveur numéro 1 qui n’avait pas froid aux yeux, qui aimait lancer dans les situations corsées. John était un gars d’équipe, un joueur de tours sans pareil. Il prenait un malin plaisir à taquiner Kirk Rueter au sujet de ses oreilles et de sa chevelure. Sur le banc, John aimait chiquer du tabac, et parfois il nous en crachait un morceau dans le dos sans qu’on s’en aperçoive. Disons que le responsable du nettoyage des uniformes n’appréciait pas tellement ça…

«Wetteland était superstitieux. Il y avait un rituel à respecter avec lui. Il fallait que je prenne une balle neuve, parfaite, sur laquelle je devais inscrire ses initiales. Il fallait que je garde cette balle avec moi en tout temps. Lorsqu’arrivait son tour de se réchauffer dans l’enclos, il n’avait qu’à me regarder dans les yeux et je me dirigeais vers ma position. Il prenait la balle, il crachait du tabac à chiquer dessus et il commençait son échauffement. Ses coéquipiers trouvaient ça bien drôle, ce petit côté superstitieux. Mais John avait sauvegardé 25 victoires cette année-là.

«Il ne connaissait pas la peur. Il n’était jamais intimidé par un frappeur. Il avait même déjà atteint Barry Bonds d’un lancer. S’il accordait un circuit, il était capable de chasser ça de son esprit après le match et il redemandait à Felipe de le retourner au monticule dès la rencontre suivante.  Il possédait cette faculté d’oublier rapidement une contre-performance. C’est la force des grands athlètes. Les gens le connaissaient mal. C’était un bon gars à l’extérieur du terrain, Il avait un grand cœur.»

GIL HEREDIA : «Un lanceur polyvalent, qui s’était façonné une belle fiche de 6 victoires et de 3 défaites en 75 manches de travail. C’était un gars comique, un bon diable.»

MEL ROJAS : «Il avait connu une très bonne saison avec un total de 16 parties sauvegardées.  Mel était le releveur idéal pour “mettre” la table pour l’arrivée de Wetteland. C’était un rôle fait sur mesure pour lui. Après le départ de Wetteland, Mel s’est retrouvé dans le rôle de releveur numéro 1. Il a connu deux saisons de 30 sauvetages, et plus à Montréal, mais ce fut plus difficile pour lui par la suite,  avec les Cubs et les Mets.»

DENIS BOUCHER : «Denis s’était retrouvé en relève contre son gré en début de saison. Rueter avait pris sa place dans la rotation des partants en raison de la saison phénoménale qu’il avait connue en 1993. Denis, un très bon gars, m’avait impressionné à son arrivée avec l’équipe en 1993. Il avait très bien lancé, malgré la pression. Je n’oublierai jamais son premier match dans l’uniforme des Expos, devant 40 000 spectateurs au Stade. Il avait su gagner le respect de ses coéquipiers, qui ont vite constaté qu’il n’était pas avec l’équipe juste pour vendre des billets.»

TIM SCOTT : «On le surnommait “Big Country”. Il n’avait peur de personne au monticule. Il avait présenté une fiche de 5-2 avec un sauvetage en 53 manches lancées en 1994.»

JEFF SHAW: «Un bon releveur qui avait conservé une fiche de 5-2 avec une victoire protégée en 1994. On ne pensait cependant pas qu’il allait devenir un joueur étoile après avoir quitté les Expos. Shaw a connu trois saisons de plus de

40 sauvetages avec les Reds et les Dodgers. C’était un bouledogue. Il a su perfectionner ses tirs plus tard dans sa carrière.»