Raphaël Gendron-Martin
Le Journal de Montréal
La Voix, Paris, Serge Reggiani. Les derniers mois ont été passablement chargés pour Isabelle Boulay. Déjà très appréciée du public québécois, l’interprète reconnaît avoir vécu un hiver hors du commun avec la populaire émission de TVA. «Je pense que ç’a été une des expériences les plus enrichissantes de ma vie, dit-elle. Ça m’a fait voyager dans le temps.»
En même temps qu’était diffusée La Voix, Isabelle Boulay se trouvait en studio pour travailler sur son nouvel album, Merci Serge Reggiani. «L’an dernier, j’étais en train de travailler sur un projet de chansons originales, mais je n’arrêtais pas d’avoir des chansons de Reggiani qui me revenaient en tête, dit-elle. Ça m’a obligée à faire une sortie de route.»
Chanteur discret
Au Québec, le nom du chanteur français d’origine italienne est certes respecté, mais il est moins connu que les Brel, Bécaud, Lama et autres grands interprètes de la chanson française. Trouve-t-elle que Reggiani - dont on soulignera le 10e anniversaire du décès le 23 juillet prochain - a reçu toute la reconnaissance qu’il mérite au Québec?
«C’est quelqu’un qui a toujours été extrêmement discret par nature, répond Isabelle, qui a eu la chance de partager la scène avec le chanteur un an avant son décès. Ce n’était pas quelqu’un de très flamboyant. Il a d’abord été un acteur formidable avant d’être un chanteur. Mais c’est sûr que je trouve que des gens de cette trempe-là, on ne les a pas assez portés.»
Avec ce disque, elle espère ainsi faire découvrir la musique de Reggiani à son public, mais aussi aux auditeurs des plus jeunes générations. «Ce sont des chansons qui sont tellement bien écrites, tellement bien composées. Ce sont des morceaux d’une très grande qualité, qui ont traversé le temps.»
Avec l’amplitude de La Voix, Isabelle Boulay peut toucher un plus large public que par les années passées avec cet album qui aurait pu initialement s’adresser à un auditoire plus restreint.
La victoire de Yoan
À propos de La Voix, Isabelle affirme avoir eu une «chance inouïe» que Yoan Garneau – grand gagnant de cette deuxième saison – la choisisse pour faire partie de son équipe. «Je pense qu’il aurait réussi, de toute façon. Il est quelqu’un de très solide, de très bien entouré. C’est un gars intelligent, sensible, brillant.»
Bien sûr, les nombreux commentaires négatifs écrits par des internautes à la suite de la victoire du blondinet de 18 ans ont fait mal à sa coach. «C’est surtout la violence que je trouve déplorable. Tu as le droit de ne pas être content, mais tu n’as pas le droit d’avoir des propos durs et violents.»
«Ce qui m’a rassurée, c’est de voir comment Yoan a pris ça, ajoute-t-elle. Ça ne l’a pas ébranlé. Il a une très grande intégrité.»
Voler de ses propres ailes
Elle a promis à son protégé qu’elle serait là s’il en avait besoin, à l’avenir. «Mais je le laisse voler de ses propres ailes. S’il a besoin que j’aille voler un bout avec lui, je vais le faire.»
Sera-t-elle de retour pour la troisième saison? «J’ai vraiment adoré mon expérience. Ça m’a amenée ailleurs. J’ai des impératifs avec un gros horaire, mais si c’était possible, je pense que je reviendrais bien m’asseoir dans mon fauteuil. Je me sentais bien. J’avais des doutes, au début, mais je pense que j’ai pris ma place et je me suis sentie bien.»
L’album Merci Serge Reggiani sera en vente ce lundi.
«L’an dernier, j’étais en train de travailler sur un projet de chansons originales, mais je n’arrêtais pas d’avoir des chansons de Reggiani qui me revenaient en tête.»
L'AIR D'UNE CHANSON
DE REGGIANI
Elle qui a brièvement connu Serge Reggiani, peu de temps avant son décès, Isabelle Boulay a voulu remettre un peu de lumière sur l’œuvre de ce grand disparu de la chanson française.
Raphaël Gendron-Martin
Le Journal de Montréal
Le projet d’un album de reprises de Reggiani était déjà avancé cet hiver lorsque Isabelle Boulay est allée à la rencontre de la veuve de Serge Reggiani, Noëlle Adam-Reggiani.
«J’aurais pu lancer le disque sans avoir son approbation, mais je ne voulais pas que l’entourage de Reggiani se sente dépossédé. Je ne voulais pas faire ce disque-là sans avoir leur force alliée. J’ai rencontré Nöelle au mois de février dernier. Je voulais absolument lui faire part de cette intention-là que j’avais de reprendre les chansons de Serge.»
Elle a non seulement reçu l’approbation de Mme Adam-Reggiani, mais aussi celle de Jean-Loup Dabadie, un parolier qui a écrit plusieurs chansons pour Serge et Isabelle. «Jean-Loup a reçu l’album il y a quelques jours. Il était tellement content. Il a dit que c’était exactement ce à quoi il s’attendait.»
Isabelle Boulay présentera son spectacle hommage à Serge Reggiani au Théâtre Maisonneuve, le 21 juin, dans le cadre des FrancoFolies.
Le Journal a demandé à Isabelle d’expliquer pourquoi elle avait choisi d’interpréter certains titres de Reggiani. Voici ce qu’elle avait à dire.
• Né en 1922 à Reggio d’Émilie, en Italie. Il est décédé le 23 juillet 2004 à Boulogne-Billancourt, en France.
• D’abord révélé au cinéma, il a joué dans plus de 90 films.
• C’est en 1963, à l’âge de 41 ans qu’il décide de se lancer dans la chanson. Son premier disque, composé de chansons de Boris Vian, connaît un vif succès.
• Il lancera un total de 21 albums studios, entre les années 1964 et 2001.
• Parmi ses grands succès, on compte Ma solitude, Le petit garçon, Il suffirait de presque rien, Ma liberté, L’italien et Les mensonges d’un père à son fils.
• En 2003, Serge Reggiani partageait la scène du Palais des congrès de Paris avec Isabelle Boulay. Ensemble, ils ont chanté Ma fille.
«C’est la première chanson que j’ai interprétée de Serge Reggiani. J’avais 19 ou 20 ans. J’avais beaucoup aimé cette chanson-là. Il y a une phrase qui disait: “Nos mains se rejoignent sur le dos de velours d’un chien qui nous aimait. C’était notre façon d’être bons compagnons.” C’est l’histoire d’un père à sa fille.» «Je n’ai connu mon père que jusqu’à 21 ans. On a fini par avoir un rapport très harmonieux. Cette chanson-là m’a fait comprendre l’amour que mon père me portait, même s’il était très possessif. Quand j’ai quitté la maison à 16 ans, c’était pour moi un acte de provocation. Mais cette chanson-là m’a ramenée à la tendresse avec mon père.»
MA FILLE
LE VIEUX COUPLE
«Quand j’ai eu l’idée de cet album-là, c’est la première chanson qui m’est venue en tête, avec T’as l’air d’une chanson. C’était tellement insistant. C’est une très belle histoire d’amitié, une amitié indéfectible. J’ai perdu un ami l’an dernier, qui s’appelait Réjean. C’était quasiment mon deuxième père. C’était quelqu’un d’exigeant à mon égard, mais pour les bonnes raisons. On avait une filiation, lui et moi. Quand je pense à cette chanson, ça pourrait être lui et moi.»
«Je n’étais pas convaincue de l’interpréter, au départ. C’est vraiment une chanson d’homme avec un point de vue d’homme. Mais je me suis rendu compte que j’avais une mauvaise compréhension de la chanson et que je la jugeais un peu. Finalement, j’ai compris le regard de l’homme.»
«Ce que j’ai aimé dans la chanson, c’est que l’homme se rend compte du trouble de la jeune fille à son égard. Mais il ne va pas s’en prévaloir, au contraire, il va essayer de lui faire comprendre que l’histoire est impossible, que c’est juste l’âge qui fait en sorte qu’il n’aura pas l’indécence de profiter de cette jeunesse-là. Il y a quelque chose d’un peu ludique dans cette chanson-là. Il y a un regard amusé, très tendre, affectueux.»
Il suffirait de presque rien
«J’ai voulu la reprendre sur Les grands espaces, mais ça ne s’est pas fait. Reggiani l’avait interprétée pour sa femme, Noëlle Adam-Reggiani, qui était une danseuse étoile. Elle partait en tournée et il l’attendait pendant des mois et des mois. Ça pourrait être l’histoire de l’homme qui est dans ma vie, finalement! Souvent dans mon métier, on vit des amours à distance et quand l’autre personne revient, on veut revenir au moment où l’on s’est quittés.»
«Le texte de la chanson est tellement beau: “Tu ne reviens d’aucun voyage, nous parlerons demain.” C’est toute l’affection qu’on n’a pas pu échanger. On va faire comme si tu ne reviens de nulle part, comme si on avait toujours été ensemble. C’est rare qu’un homme attende une femme.»
«C’est ma chanson préférée de l’album. J’ai été élevée dans
un bar et un restaurant. C’est l’histoire de deux individus
qui ne sont peut-être pas au même endroit dans leur vie,
mais qui se retrouvent quelque part et qui vont finir
dans leurs souffrances par entrer en lien. C’est le mal
de vivre, la solitude qui les fait connecter ensemble
et ne pas avoir de jugement l’un envers l’autre.
Quand on boit notre chagrin, on est dans un
état d’ouverture et de vulnérabilité. Pour
moi, c’est une chanson de compassion.»
DE QUELLE AMÉRIQUES
SI TU ME PAYES UN VERRE
Pour la coréalisation de l’album, Isabelle Boulay a fait appel à un jeune auteur-compositeur-interprète qui l’avait bien impressionnée pour la réalisation du premier album des Sœurs Boulay, Philippe B. Durant le processus, le chanteur-réalisateur a également pu compter sur la collaboration de Benjamin Biolay, qui a réalisé les trois derniers disques d’Isabelle.
«J’étais un peu étonné lorsqu’elle m’a contacté, dit Philippe B. Mais j’ai compris rapidement d’où venait cette pulsion. Elle avait aimé mon travail avec les sœurs Boulay et elle voulait revisiter les chansons de Reggiani, qui sont souvent plus étoffées et orchestrées, d’une façon plus dépouillée. Elle sentait que j’avais une manière de faire qu’elle pouvait apprécier.»
«Je ne connaissais pas du tout Philippe, mais il me semblait être la personne toute désignée pour ce projet-là, indique Isabelle. Je voulais que les chansons soient traitées comme si elles étaient de notre génération. Je voulais qu’il y ait un respect du classicisme, mais avec son contemporain en même temps. Je trouve que c’est la définition de Philippe B.»
Matériel de qualité
Lui qui n’était pas un expert de Reggiani («je suis plus un adepte de Barbara, Brassens, Brel, mais ma mère le connaissait beaucoup»), Philippe B s’est rapidement rendu compte qu’il travaillait avec du «matériel brut de qualité A1. Ces chansons-là sont vraiment bien écrites.»
Avec Isabelle, le réalisateur a pigé parmi un catalogue d’une centaine de chansons. «Isabelle avait aussi ses choix à elle qu’elle tenait à faire, car elle avait déjà un attachement émotif à certaines pièces.»
En studio, Philippe B mentionne que l’interprète s’est montrée très généreuse et disponible. «Ç’a beaucoup aidé à la cohésion du projet, car elle était là à toutes les étapes. Comme interprète, elle a une bonne maîtrise de son univers. Elle sait très bien ce qui marche pour elle.»