Bien que mon passage en terres inuites du Nunavut fût bref, j’ai eu le privilège de discuter avec quelques habitants d’Iqaluit et de Qikiqtarjuaq. Voici quelques visages croisés au nord du 63e parallèle, là où l’on vit depuis bien plus de 150 ans.
Le point de départ de ce périple, qui s’est déroulé majoritairement en mer, était Iqaluit, ville choisie comme capitale du nouveau territoire du Nunavut à partir de 1999. Nous avons donc pu y passer une trop courte journée avant de grimper à bord du Polar Prince.
Dans cette ville à majorité inuite, les Blancs prennent de plus en plus d’espace depuis que sont venues s’implanter les administrations fédérales, territoriales et municipales au début des années 2000.
«Tous ces immeubles sont habités par des Blancs», me lance d’ailleurs une avocate ontarienne rencontrée dans la rue en pointant du doigt un bloc d’habitations. Ensemble, nous sautons dans un taxi, seul moyen de transport estival là-bas, pour faire un rapide tour des lieux. Comme plusieurs, Marie est venue travailler pour un an au nord du 63e parallèle afin de profiter des généreuses primes d’éloignement. Elle fait partie du 40% de Blancs qui habitent la ville.
Malgré ce boom démographique des dernières années, la majorité de la population demeure issue de la communauté inuite. Ils sont un peu moins de 30 000 au Nunavut et environ 5000 à habiter la capitale. Nunavut signifie d’ailleurs «notre terre» en inuktitut.
Je rencontre sur place David Lawson, originaire de la communauté de Pangnirtung, aujourd’hui résident d’Iqaluit. Il fait le voyage avec nous et en a long à dire sur son peuple, qu’il regarde avec optimisme. Selon lui, les Inuits de la région vivent une forme de retour aux valeurs traditionnelles. «Il y a présentement beaucoup de jeunes désireux de se réapproprier leur héritage et leur culture inuite.» David – Taivitii de son nom en inuktitut – est à ce sujet catégorique. «C’est en embrassant notre culture avec force que nous pouvons en tirer un sentiment de fierté.»
Voici en photos les visages de la capitale.
En débarquant à Qikiqtarjuaq, notre destination finale, je suis d’abord surprise par le calme qui règne sur cette petite communauté de 430 habitants, située sur Broughton Island, une île dans le détroit de Davis, toujours au Nunavut.
C’était avant de réaliser que le fameux «fishing derby», un tournoi de pêche annuel, avait attiré la majorité des habitants à l’extérieur du village pour la fin de semaine. Nous avons tout de même la chance d’y rencontrer Levi Nutaralak, qui, du haut de ses 80 ans, accepte de nous raconter l’histoire de sa vie.
Avec beaucoup de patience, M. Nutaralak nous explique comment le gouvernement fédéral a forcé la sédentarisation des Inuits dans la région durant les années 60. Même si plusieurs étaient réticents à s’installer à Qik, comme on l’appelle dans la région, les Inuits ont fini par y rejoindre les services qui s’y étaient implantés: écoles, services de santé, sécurité, etc.
L'aîné se souvient également du massacre des chiens de traîneaux perpétré par les policiers et la GRC dans les années 50-60. Au nom de la sécurité des villages du Grand Nord, des milliers de chiens d’attelage, ces bêtes au centre de la vie inuite, ont été tués. Cette tuerie a bouleversé la vie des communautés du Nord, les privant de transport. Mais avec le temps, Levi Nutaralak affirme regarder vers l’avenir. «Ça fait partie de notre histoire», conclut-il.
Après cette discussion marquante avec un résident de Qik, je retourne dans les rues du village. Quelques femmes et des enfants sur leur vélo profitent du dimanche chaud et ensoleillé de cet été dans l’Arctique. Parmi eux, Kaylie, 9 ans, s’approche de moi timidement sur la rue en terre battue.
«What’s your name?» demande-t-elle doucement.
«Caroline. What’s yours?»
«Kaylie. Can I use?» ose-t-elle ensuite, pointant ma caméra.
Évidemment. Je lui ai donc refilé mon appareil et j’ai été prise pour courir derrière elle pendant qu’elle photographiait son village, sa réalité, sa vie.
Voici sept de ses plus belles images.
Sans le savoir, Kaylie m’aura laissé bien plus que des photos dans un appareil, mais toute une fenêtre privilégiée sur son quotidien bien, bien loin du nôtre.